2023 M12 20
En Attendant Ana – « Principia »
Le voilà, le dernier groupe français que les anglo-saxons nous envient, mais qui se démenait pourtant relativement incognito chez nous à Rock en Seine l’été dernier. Le magazine Time vient de classer le troisième album d’En Attendant Ana parmi les 10 meilleurs de l’année, et on a du mal à lui donner tort.
Plus richement produit que ses deux prédécesseurs, "Principia" peut s’appuyer sur une section rythmique qui flirte ouvertement avec le krautrock – comme sur Wonder, morceau de bravoure qui amène à un final en apothéose.
Mais l’arme secrète du groupe, ce sont bien sûr les cuivres de Camille Fréchou, qui catapultent cet album dans des contrées rarement explorées dans la pop française d’aujourd’hui, et qui font d’En Attendant Ana LE groupe hexagonal pour qui tous les espoirs sont permis.
Death Valley Girls – « Islands in the Sky »
Habitué à retourner les fosses de ses concerts avec son garage-punk fuzzy à souhait, le groupe préféré d’Iggy Pop semble avoir atteint l’âge de raison sur son cinquième album.
Bien sûr, on retrouve toujours sur "Islands in the Sky" quelques brûlots (le morceau-titre, What Are the Odds), mais Bonnie Bloomgarden apparaît ici plus que jamais comme la grande prêtresse goth qu’elle a toujours été, délivrant des messages réconfortants et entraînant le fameux stoner/doom-boogie des Death Valley Girls vers une musique plus psychédélique et atmosphérique (Sunday, Watch the Sky).
Ce renouvellement largement alimenté par les claviers et une production plus ample évite au groupe le risque de l’enlisement, et il rappelle surtout que malgré les changements de line-up, les Death Valley Girls restent l’une des formations les plus enthousiasmantes à avoir émergé de la scène garage ces dernières années.
Altın Gün – « Aşk »
Depuis son apparition en 2018, la réputation de ce groupe néerlandais qui joue les standards du rock 70’s d’Anatolie à la sauce psychédélique ne fait que grandir, et c’est totalement mérité.
Après deux albums pop parfaitement maîtrisés, Altın Gün revient avec "Aşk" à ses racines folk psychédéliques, qu’il mélange avec le space rock et le disco voire le funk pour créer des morceaux au groove impressionnant – vérifiable à leurs concerts qui donnent très chaud.
Les sonorités vintage utilisées sont un délice pour les fans du genre, la production est parfaite, et l’ensemble brille à la fois par sa cohérence et sa fraîcheur. C’est le cinquième album du groupe, et on attend toujours qu’il en sorte un mauvais. Rock en Seine ne s’y est d’ailleurs pas trompé, en le programmant sur sa grande scène cette année.
Temples – « Exotico »
Il y a 10 ans, ils étaient l’une des meilleures incarnations du revival rock psyché. Depuis, les membres de Temples ont continué de sortir d’excellents albums passés un peu trop inaperçus, et le dernier en date ne fait pas exception. Sorte d’invitation au voyage et à l’évasion, "Exotico" voit le groupe faire appel pour la première fois à un producteur extérieur (Sean Lennon) et à un ingé son très réputé (Dave Fridmann).
Résultat ? Un album qui contient comme d’habitude son lot de pop songs monstrueuses (les singles Cicada et Gamma Rays), parfois entourées d’un mur du son bâti avec autant de soin que de talent. Surtout, le groupe ne se contente pas de réciter le parfait bréviaire du psyché, puisqu’il s’aventure dans des genres nouveaux pour lui. Peut-être un peu trop au goût de certains, mais cette perte de contrôle relative fait souffler un vent de fraîcheur sur les cheveux bouclés de James Bagshaw, le leader de Temples.
The Lemon Twigs – « Everything Harmony »
On sait depuis la sortie en 2016 de "Do Harmony", leur premier album phénomène, les frères D'Addario ont un talent fou. Capables de passer du glam rock à la comédie musicale barrée en passant par la power pop, les Lemon Twigs sont le meilleur groupe de 1973 à vivre en 2023.
Sur leur quatrième album, ils se débarrassent de leurs outrances adolescentes pour livrer tout simplement un classique instantané de la pop baroque, qui renvoie aux grandes heures des Beach Boys et des Beatles circa 1966.
"Everything Harmony" contient une pelletée de balades déchirantes – le fantôme d’Alex Chilton et de Big Star n’est jamais loin – merveilleusement réhaussées par une production cette fois sans excès qui fait briller les harmonies vocales des Twigs. Passéiste ? Peut-être, mais la mélancolie n’avait pas été aussi belle depuis longtemps.
Melenas – « Ahora »
Révélation de l’excellent festival Levitation France d’Angers il y a deux ans, le groupe espagnol passe dans une autre dimension avec son troisième album. On y entend toujours des pépites de garage pop dansantes qui permettent à elles seules d’éviter la dépression saisonnière en hiver (1986, Mal).
Mais ce "Ahora" est un album étrangement sombre dont les morceaux installent une ambiance inquiétante (Dos pasajeros, Flor de la frontera), souvent sur une rythmique motorik absolument jouissive (K2, Bang…), accompagnée par des synthés analogiques vintage (Korg Delta et Monologue, Moog, Farfisa…), qui créent des mélodies et des sonorités rien moins que jouissives – le final 1,000 canciones est digne de Daft Punk ou Air.
Ajoutez de très jolies harmonies vocales plus omniprésentes que jamais, et vous obtenez l’une des meilleures surprises de cette liste.
Sufjan Stevens – « Javelin »
Impossible de laisser de côté ce qui est peut-être l’album le plus bouleversant de l’année. Atteint du syndrome de Guillain-Barré et contraint de réapprendre à marcher, Sufjan Stevens a aussi perdu son partenaire de vie, à qui il a rendu hommage et dédié cet album, tout en faisant son coming out. Il a tiré de ces épreuves ce qui est clairement son meilleur album depuis le chef-d’œuvre "Carrie & Lowell" (2015).
Sufjan Stevens renoue d’ailleurs sur "Javelin" avec l’instrumentation folk minimaliste et intimiste de ce dernier, même si ce nouvel album s’autorise aussi quelques riches moments de grâce plus maximalistes dans la lignée des classiques "Illinois" (2005) et "The Age of Adz" (2010). L’intro acoustique qui précède l’explosion de Goodbye Evergreen résume bien la ligne de crête de ce "Javelin", magnifiquement orchestré et parsemé de chœurs qui vous font pleurer toutes les larmes de votre corps.
Allah-Las – « Zuma 85 »
On a beaucoup reproché au groupe californien de ronronner son gentil surf rock psychédélique sans retrouver l’excitation de son premier album éponyme (2012). On ne peut pas en dire autant cette fois. Le cinquième album des Allah-Las marque une rupture brutale avec le son qui a fait leur réputation, pour lorgner cette fois plutôt du côté de toutes les grandes figures du rock 70’s.
On peut entendre sur les mélodies et la production de "Zuma 85" des hommages clairs à Lou Reed (The Stuff), Iggy Pop (Smog Cutter) John Cale (The Fall), mais aussi toute la période berlinoise sous influence Kraftwerk/Neu! de David Bowie avec Brian Eno. Le tout est chanté avec un peu de vocoder sur des morceaux imprévisibles qui sont les meilleurs du groupe depuis longtemps. Les fans de la première heure ont dû détester, mais ils ne savent pas ce qu’ils ratent. Cet album est une renaissance.