Il y a 50 ans, le glam rock mettait des paillettes dans la vie des Anglais

Alors que sort en France "Moonage Daydream", un documentaire événement permettant de célébrer une énième fois le génie de David Bowie, on fête aussi le cinquantième anniversaire de la naissance de Ziggy Stardust, et par extension de l’apogée du glam rock, un courant musical et culturel aussi révolutionnaire qu’éphémère, et dont l’influence se fait encore sentir aujourd’hui.
  • Le début des années 1970 est un moment paradoxal dans la grande histoire du rock’n’roll. D’un côté, les albums géniaux qu’on écoutera encore cinquante ans plus tard continuent de sortir à un rythme effréné. Mais de l’autre, le genre musical associé pendant les années 1960 à la rébellion est menacé par l’embourgeoisement et l’institutionnalisation. La faute à la multiplication des terribles "concept albums" du rock progressif et à la domination du blues rock blanc, deux courants dont les groupes ont souvent en commun d’être aussi prétentieux qu’ennuyeux.

    Bref, s’il ne veut pas mourir jeune, le rock doit impérativement se renouveler.

    Est-ce l’intuition qu’a eu Marc Bolan lorsqu’il décida de se convertir à la guitare électrique au tout début des seventies ? Jusqu’alors, ce fan de Tolkien (il n'était pas le seul chanteur de rock dans ce cas à l'époque) jouait avec son groupe Tyrannosaurus Rex du folk psychédélique de hippie pour un petit groupe d’admirateurs parmi lesquels se trouvait John Peel, DJ de la BBC.

    Mais en réalité, ce garçon né sous le nom de Mark Feld est un admirateur du rock primitif d’Eddie Cochran, Chuck Berry et Gene Vincent. Après avoir passé des années à stagner au sein de la scène underground londonienne ou à jouer au mod du Swinging London – pas loin d’un certain David Jones – Bolan a une inspiration géniale en décidant en 1970 de brancher pour la première fois sa guitare dans un ampli, tout en raccourcissant le nom de son groupe, désormais connu sous le nom de T. Rex.

    Il ne se maquille pas encore, mais son très bref premier single, Ride a White Swan, composé d’un riff distinctif et d’un hand clapping permanent, marque la naissance d’un nouveau sous-genre du rock, mais qui n’a à l’époque pas encore de nom.

    Le morceau est numéro 2 des charts au Royaume-Uni, et Bolan est enfin sur le point de devenir une star. Plusieurs mois plus tard (en mars 1971), alors qu’il s’apprête à monter sur la scène de la mythique émission Top of the Pops, la femme de son manager (Chelita Secunda) a l’idée de lui coller des paillettes sous les yeux pour accompagner sa veste et son pantalon argentés.

    Quelques minutes plus tard, Marc Bolan chante le single Hot Love et pousse des petits cris et soupirs hypersexués à la télévision devant un public féminin qui exécute une chorégraphie en frappant dans les mains en rythme avec la musique.

    Le glam est officiellement né et les Britanniques découvrent médusés ce chanteur bouclé qui se déhanche de façon très explicite en arborant un look androgyne où les boas côtoient les talons.

    Surtout, T. Rex ne quitte plus le sommet des charts avec ses singles d’une efficacité redoutable (Get It On, Jeepster), tirés son album le plus fameux ("Electric Warrior", 1971), que la jeunesse s’arrache en copiant l’apparence de Bolan et en jouant comme lui à fond sur la confusion des genres. C’est la T. Rexstasy : le Royaume-Uni n’a plus connu une telle folie populaire depuis la frénésie accompagnant les Beatles dans les années 1960.

    Dans l’ombre, David Jones – qui s’appelle désormais David Bowie – observe ce phénomène avec intérêt : contrairement à Bolan, il n’a pas encore percé auprès du grand public, malgré la sortie d’un premier chef-d’œuvre ("Hunky Dory", 1971) où se trouve Queen Bitch, un morceau moitié glam rock, moitié hommage au Velvet Underground.

    Au début de l’année suivante, Bowie décide donc de se métamorphoser en un personnage qui deviendra le plus emblématique de sa carrière, la rock star extraterrestre Ziggy Stardust.

    Cette transformation est pour lui l’occasion d’arborer un look glam rock totalement outrancier (énorme couche de maquillage, coupe mulet avec des cheveux rouges/oranges, combinaisons moulantes multicolores et fluos, platform boots…) qui crée chez lui aussi une énorme ambigüité sexuelle autour de sa personne.

    Comme Bolan, il est relativement fasciné par les vêtements attribués aux femmes – il portait d’ailleurs déjà une robe sur la pochette de "The Man Who Sold The World" en 1970 –, mais il va bien plus loin que son ancien complice en osant déclarer au magazine Melody Maker qu’il est gay, une affirmation dont on sait aujourd’hui qu’elle est complètement fausse.

    Nous sommes alors le 22 janvier 1972, et l’année de l’apogée du glam rock ne fait que commencer. Les singles de groupes qui surfent sur la mode du glam rock déferlent dans les charts britanniques.

    C’est le cas de The Sweet, Slade ou Chicory Tip, qui sont les premiers sur l’affaire avec le tristement célèbre Gary Glitter, futur condamné pour pédophilie, mais qui cartonne alors avec son morceau instrumental Rock and Roll Part 2, grand classique glam rock qui résume bien l’esprit de ce genre naissant.

    Une musique revenant aux racines des pionniers du rock : simple, dansante, fun et qui ne se prend surtout pas au sérieux, car construite le plus souvent autour d’un riff et d’un rythme répétitifs qui donnent irrésistiblement envie de taper du pied par terre.

    Mais tous les artistes glam n’optent pas pour la facilité. C’est le cas de David Bowie, qui sort le 16 juin 1972, son magnum opus, "The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars", un simili opéra rock aujourd’hui adulé mais pas toujours compris à l’époque.

    Heureusement, Bowie est entouré par un groupe glam qui n’a pas que des tenues incroyables pour lui : les Spiders from Mars. Ce sont eux que l’on retrouve en sa compagnie le 6 juillet 1972 sur le plateau de Top of the Pops, pour l’une des performances les plus importantes de l’histoire de la musique populaire.

    Un an et demi après le choc Bolan, douze millions de Britanniques sidérés découvrent pour la première fois Ziggy Stardust, venu chanter un tube venu d’ailleurs (Starman) dans un accoutrement flashy inoubliable.

    Rayonnant, Bowie fait entrer la transgression de genre et d’identité du glam dans tous les foyers, et devient instantanément une superstar dans son pays – où sa prestation change la vie de dizaines de futurs grands artistes de sa majesté – avant de conquérir le monde.

    Signe de l’effervescence artistique du glam à ce moment-là, un groupe d’étudiants en art déguisés avec les codes du glam rock sort le même jour que "Ziggy Stardust" un premier album lui aussi considéré aujourd’hui comme un chef-d’œuvre, "Roxy Music".

    Mais celui-ci se démarque déjà totalement de la concurrence pour lorgner plutôt du côté de l’avant-garde pop, même sur Virginia Plain, leur single sorti au cœur de l’été.

    Le seul véritable adversaire de Bowie reste donc Bolan : bien que symbolique, leur rivalité prend une tournure épique à l’été 1972, puisque juste après le raz-de-marée "Ziggy Stardust", T. Rex réplique avec "The Slider", sans doute le plus grand album de l’histoire du glam, enregistré au Château d'Hérouville par un producteur qui travaille aussi avec Bowie et ajoute des arrangements de cordes divins, Tony Visconti.

    Mais le disque est surtout porté par ses deux singles qui tuent, Telegram Sam et Metal Guru, restés au sommet des charts britanniques pendant plusieurs semaines.

    Et les choses ne se calment pas à la rentrée, qui voit la sortie de deux immenses albums glam, "All the Young Dudes" (Mott the Hoople) et "Transformer" (Lou Reed), produits tous les deux par un Bowie qui s’improvise parrain du mouvement et possède tellement de bons morceaux qu’il peut se permettre le luxe inouï de faire cadeau aux premiers de la chanson All the Young Dudes, devenue tout simplement l’un des hymnes les plus mémorables du glam rock.

    Tout le monde ou presque se met alors d’une façon ou d’une autre au glam, même les Rolling Stones, puisque Mick Jagger arbore un maquillage du plus bel effet pendant leur fameuse tournée américaine de l’été 1972, immortalisée dans le film Ladies & Gentlemen.

    Elton John ne reste pas non plus insensible à l’influence glam de Marc Bolan : il a joué avec lui à Top of the Pops et apparaît en compagnie de Ringo Starr dans Born to Boogie, le film tiré du concert de T. Rex enregistré en mars 1972 au stade de Wembley, après avoir lui-même enregistré au Château d'Hérouville son superbe "Honky Château".

    La folie du glam rock restera en revanche beaucoup plus mesurée aux Etats-Unis, même si l’exportation de David Bowie permettra à certains artistes pailletés et américains (New York Dolls, Sparks et Suzi Quatro notamment) d’émerger pendant les années suivantes.

    La seule exception notable en 1972 – outre Lou Reed évidemment – vient du groupe d’Alice Cooper, qui s’impose dans les charts avec l’album 'School’s Out" et son single éponyme tranchant, autre hymne glam qui incarne à merveille l’hédonisme adolescent du mouvement.

    L’âge d’or du glam rock se poursuivra en 1973, avec une quantité encore importante de singles et d’albums majeurs du genre, avant de commencer à décliner à partir de l’année suivante, où Bowie et dans une moindre mesure Bolan s’éloigneront du courant pour s’intéresser au funk et à la soul.

    Mais le mouvement de retour aux sources du rock’n’roll initié par le glam mènera directement quelques années plus tard à la naissance du punk. Marc Bolan n’aura malheureusement pas le temps d’apprécier l’hommage rendu par des groupes comme The Damned au genre qu’il a créé, puisqu’il mourra prématurément en 1977 dans un accident de voiture, juste après avoir retrouvé Bowie une ultime fois sur scène à la télévision.

    Mais l’influence du glam sur le rock et la culture en général ne mourra jamais vraiment, puisque ses tenues extravagantes et androgynes continuent d’inspirer le milieu de la mode et certaines stars de la pop comme Lady Gaga, tandis que des artistes rock comme Ty Segall ou The Black Keys s’inspirent très régulièrement des grandes heures du glam dans leurs morceaux. Wham bam, thank you glam!

    A écouter dès maintenant : notre playlist ultime du glam en 20 titres, ci-dessous.

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