Pourquoi le docu "Moonage Daydream" sur Bowie est une vraie dinguerie

Grand huit véritablement ébouriffant à travers les cinquante années de carrière de l’homme aux mille visages, le documentaire de Brett Morgen immerge dans une expérience visuelle et sonore assez unique en son genre. Laissez tomber les biopics rincés sur David Bowie, vous ne verrez peut-être pas deux fois de votre vivant un film comme Moonage Daydream.
  • Aujourd’hui, la forme traditionnelle des documentaires musicaux où des experts et proches d’un artiste racontent sa vie assis sur une chaise peut parfois sembler un peu désuète.

    On ne sait pas si le réalisateur du premier film officiellement approuvé par les ayants droit de David Bowie partage ce point de vue, mais une chose est certaine : son Moonage Daydream ne ressemble en rien aux documentaires traditionnels sur celui qui est l’une des icones les plus fascinantes du vingtième siècle.

    Il ne ressemble d'ailleurs même pas à un documentaire tout court, mais plutôt à une expérience cinématographique inclassable.

    Peut-être parce qu’il s’agit d’un projet complètement fou mené pendant cinq ans par un homme seul, le premier à avoir eu accès aux cinq millions d’objets contenus dans les archives personnelles de David Bowie.

    Il aura fallu deux ans – au rythme de 10 à 12 heures de visionnage six jours par semaine – à Brett Morgen pour faire le tri dans ces archives, soit "le meilleur job du monde" selon lui.

    Ce réalisateur déjà auteur de documentaires remarqués sur Kurt Cobain (Kurt Cobain: Montage of Heck, 2015) ou les Rolling Stones (Crossfire Hurricane, 2012) s’est même tellement passionné pour l’œuvre de son idole qu’il a été victime d’une crise cardiaque en travaillant sur le film en janvier 2017.

    Il a heureusement survécu assez miraculeusement après plusieurs jours de coma, et pu aller au bout du projet. Quand on voit le résultat aujourd’hui, on se dit que tous ses efforts n’ont pas été vains. Construit de manière non-linéaire, Moonage Daydream est un documentaire qui ne s’adresse néanmoins qu'aux fans déjà très convaincus de David Bowie.

    Il ne respecte en effet que vaguement la chronologie de sa carrière, multipliant les allers-retours entre ses différentes périodes, le tout sans la moindre explication, puisque le seul narrateur est Bowie lui-même, philosophant souvent seul sur le sens de son œuvre et de sa vie via les enregistrements assemblés par le réalisateur.

    Mais si ces partis pris ont de quoi désorienter les premiers venus, ce sont eux qui permettent l’immersion dans la carrière et l’univers de cet artiste hors du commun.

    Brett Morgen nous balade à une vitesse étourdissante entre les interviews, les photos, les peintures, les dessins, les écrits, les extraits de films, les clips, les concerts et les séquences oniriques, après avoir réalisé lui-même un travail de montage absolument colossal.

    Le rythme de l’ensemble semble d’ailleurs avoir été pensé pour donner l’impression de vivre un grand huit de 140 minutes dans l'univers de l'artiste, mais quel fan de David Bowie digne de ce nom dirait non à une expérience aussi exaltante ?

    Les archives déjà connues ont pour certaines été restaurées dans une définition impressionnante, et les nouvelles images que l’on découvre sont parfois assez savoureuses.

    Et si le travail de Morgen sur l’étalonnage des images contribue à faire du visionnage de Moonage Daydream une expérience quelque peu psychédélique, il faut surtout saluer le travail réalisé sur le son par l’inestimable Tony Visconti.

    Le producteur historique de la plupart des meilleurs albums de Bowie a remixé la musique de ce dernier pour l’adapter aux technologies Dolby les plus avancées des salles de cinéma. L’occasion de rappeler qu’il est VRAIMENT très vivement recommandé de voir le film dans une salle IMAX.

    Moonage Daydream a en effet été entièrement réalisé pour ce format, où la puissance réellement assourdissante de la bande-son respecte à la lettre la phrase inscrite au dos de la pochette de l’album Ziggy Stardust : "TO BE PLAYED AT MAXIMUM VOLUME."

    Et outre la présence de pas mal de raretés et versions alternatives dans la B.O., les fans apprécieront de retrouver une sélection de morceaux qui va bien au-delà du best-of pour intégrer bon nombre de pépites moins connues de l’immense discographie de Bowie.

    Le voyage offert par Moonage Daydream procure donc son lot de frissons – les concerts des Spiders from Mars face à une foule en délire font toujours leur effet – en passant très vite sur les années les plus faibles de Bowie pour se concentrer évidemment sur la crème de sa carrière, des années glam à la trilogie berlinoise en passant par la période américaine cocaïnée.

    Les quelques polémiques les plus célèbres de la carrière de l’artiste sont certes soigneusement évitées, mais Brett Morgen porte en revanche un regard honnête et éclairant sur les années fric de Bowie dans les années 1980, souvent aussi douloureuses visuellement que musicalement.

    Et s’il n’a pas la prétention de percer les mystères qui font le sel de la carrière de Bowie, Moonage Daydream se fait particulièrement émouvant dans les dernières minutes, lorsqu’on entend l’artiste au crépuscule de son existence évoquer son rapport à la vie, à la mort, et surtout à la gestion du temps qui passe, avec l’obsession de profiter de chaque instant pour sans cesse se renouveler et essayer un maximum de formes d’art.

    Ce qu’il a fait jusqu’à sa mort à 69 ans en 2016, en nous laissant une œuvre si monumentale que Brett Morgen a déclaré dans cette interview à voir ci-dessous qu’il aurait pu passer le reste de sa vie à travailler sur ce film. Une richesse qui explique pourquoi Bowie est aujourd’hui immortel, et ce n’est pas avec Moonage Daydream que son aura déjà écrasante risque de diminuer.