Le grand classement des albums de Blur, du moins bon au meilleur

Il y a 35 ans déjà, Londres voyait naître l’un des meilleurs groupes de l’histoire du rock britannique. Loin de se limiter à la Britpop comme certains de ses contemporains, Blur a en effet forgé au fil des années une discographie d’une richesse impressionnante, ce que confirme encore son neuvième album événement, "The Ballad of Darren". Mais ce dernier peut-il devancer les grands classiques de la troupe de Damon Albarn dans notre classement ? C’est ce qu'on va voir.
  • 9. "Think Tank" (2003)

    Comme sa pochette signée Banksy, le septième album de Blur a un peu vieilli. Conçu à l’époque où Damon Albarn commençait à s’aventurer dans des contrées éloignées du rock avec Gorillaz, "Think Tank" agglomère trop d’influences insuffisamment bien digérées pour se montrer convaincant et cohérent musicalement. C’est aussi un album politique très ancré dans son époque, puisqu’il a été largement inspiré par l’opposition louable du groupe à l’invasion de l’Afghanistan puis de l’Irak.

    Malheureusement, hormis quelques exceptions, les chansons vraiment mémorables sont rares. La faute sans doute à une gestation longue et douloureuse, marquée par l’intervention de multiples producteurs, et surtout au départ du guitariste Graham Coxon, avec qui le courant ne passait plus. Mais "Think Tank" prouve que sans lui, Blur n’est pas Blur, et Damon Albarn finira bien sûr par le réaliser.

    En 2015, il s’est d’ailleurs montré très sévère avec cet album qu’il a sans doute façonné un peu trop seul : "il y a de vraies daubes là-dessus". On n’ira peut-être pas jusque-là, mais dans le genre expérimental, Blur a évidemment fait beaucoup mieux avec un autre album classé bien plus haut dans cette liste.

    8. "The Magic Whip" (2015)

    Pendant très longtemps – douze ans ! – on a cru que "Think Tank" serait le dernier album de Blur, et on était bien sûr un peu tristes. Mais en 2015, un miracle s’est produit. Non seulement le groupe était enfin de retour avec de nouvelles chansons, mais le guitariste Graham Coxon était là, tout comme Stephen Street, le producteur historique des meilleurs albums de Blur.

    Certes, "The Magic Whip" n’est pas au niveau de ces classiques, mais après les expérimentations pas toujours heureuses de "Think Tank", ce huitième album marque au moins un retour aux sources musicales du groupe. Pour autant, "The Magic Whip" n’est pas un album de Britpop nostalgique, puisque Damon Albarn et ses collègues y font preuve d’une jolie maturité dans leurs idées, enregistrées complètement à l’improviste à Hong Kong en 2013.

    Un peu trop peut-être : il manque à "The Magic Whip" l’excitation des débuts, et certains morceaux atterrissent étrangement, sans doute influencés par le premier album solo de Damon Albarn sorti l’année précédente, "Everyday Robots". Mais l’essentiel est ailleurs : ce disque qui a bien failli ne jamais voir le jour a évité à Blur une fin en eau de boudin et on ne lui en demandait peut-être pas plus.

    7. "Leisure" (1991)

    Osons le dire : le premier album de Blur est bien meilleur que dans nos souvenirs. Oui, le groupe y joue un mélange de shoegaze (She’s So High) et de Madchester qui n’était pas de toute première fraîcheur à sa sortie, sous l’influence peut-être de son label. Mais si "Leisure" n’a rien d’un premier chef-d’œuvre, il ne méritait pas d’être laminé à ce point par la presse de l’époque.

    Car on y trouve les premières grandes chansons de Blur, souvent produites par Stephen Street, comme l’hymne baggy There’s No Other Way. Et en dehors des singles, le groupe est alors déjà capable de composer des morceaux hallucinants hors des sentiers commerciaux, comme le lancinant Sing, qui trouvera bien sa place sur la bande-originale du film culte des années 1990 sur la drogue, Trainspotting (Danny Boyle, 1996).

    Même si Damon Albarn s’est montré très critique à son égard des années plus tard, "Leisure" mérite sa place dans ce classement parce qu’on y entend tout le potentiel d’un groupe qui va devenir énorme, mais à qui il manque juste l’expérience nécessaire pour trouver réellement sa voie. Il ne lui faudra pas longtemps pour y remédier.

    6. "The Ballad of Darren" (2023)

    Les lauriers tressés dans cet article ne doivent pas faire oublier une réalité : les albums de Blur ont toujours été trop longs – la faute aux années 1990 et à l’ère du CD. On ne peut pas reprocher ça au nouvel album du groupe, qui est étonnamment ramassé. Et pourtant, "The Ballad of Darren" est une telle surprise qu’on aimerait qu’il dure toute la vie.

    Pas loin d’être aussi bien produit que les meilleurs albums de Blur – une autre constante du groupe d’ailleurs – malgré la présence d’un nouveau venu aux manettes (James Ford), ce nouveau comeback caresse nos oreilles avec des ballades méticuleusement composées qui touchent juste parce qu’on y entend un groupe de quinquas qui ne cache pas son vieillissement et n’essaye pas de reproduire les tubes dansants de sa jeunesse, ce qui serait extrêmement gênant.

    "The Ballad of Darren" ne renvoie ni à la Britpop ni à aucune période vraiment connue du groupe, mais on jurerait en revanche y entendre le fantôme de Bowie en fin de carrière (St. Charles Square), ce qui n’est pas vraiment insultant. Bref, cet album surclasse largement ses deux prédécesseurs, et on se prend à espérer que ce ne sera pas le dernier de Blur.

    5. "Blur" (1997)

    En 1997, le mouvement Britpop commence à montrer de sérieux signes de déclin, et le groupe le sent bien. Après avoir fait le tour de la question en trois albums devenus des classiques, Blur décide – sous l'influence décisive de Graham Coxon – de prendre un virage à 180 degrés en embrassant l'influence du rock américain qu'il méprisait tant à ses débuts.

    Et le résultat est spectaculaire. Le groupe expérimente avec succès une grande variété de genres sur cet album porté par deux énormes singles (Song 2, Beetlebum) et le jeu de guitare furieux de Coxon. Quant à Damon Albarn, il a bien compris qu'il ne pourrait pas jouer des personnages éternellement, et il commence enfin à se livrer avec plus d’authenticité dans son songwriting.

    Contre toute attente, cette révolution fait un carton auprès du public de l’époque, et c'est évidemment mérité. Avec cet album, Blur a su enterrer la Britpop à temps et se renouveler brillamment comme très peu de ses concurrents, ouvrant la voie à une nouvelle période de grande liberté artistique pour le groupe. Un des sommets de leur carrière, et un des meilleurs albums de la très riche année 1997.

    4. "The Great Escape" (1995)

    Le troisième et dernier volet de la grande "Life Trilogy" de Blur est souvent mésestimé par rapport à ses deux prédécesseurs, et ce classement ne va rien y changer. Pourtant, "The Great Escape" est un album immense, certainement le plus pop de la discographie de Blur.

    Il bénéficie d’une production aux petits oignons – la preuve sur The Universal, un des meilleurs morceaux du groupe par ailleurs – et on y trouve surtout des singles absolument ravageurs (Country House, Charmless Man) où la gouaillerie de Damon Albarn atteint des sommets.

    À l’image de sa pochette, "The Great Escape" est un album bien frais qui ne se prend pas trop au sérieux, et cela lui a d’ailleurs été un peu reproché à l’époque, obligeant Blur à changer radicalement de direction par la suite. Aujourd’hui, il s’agit en réalité d’une qualité qui permet à cet album d’avoir beaucoup moins vieilli que certains produits par leurs concurrents à la même époque.

    À l’heure où l’affrontement entre Blur et Oasis qui passionnait la presse britannique en 1995 n’est plus qu’un lointain souvenir, il est grand temps de le dire haut et fort : "The Great Escape" n’a rien à envier à l’album d’Oasis qui l’a écrasé dans les charts à l’époque.

    3. "Modern Life Is Rubbish" (1993)

    Entre "Leisure" et ce deuxième album, les progrès réalisés en peu de temps par Blur sont impressionnants. Motivé par son rejet du grunge américain qui inonde alors son pays, Damon Albarn replonge dans les années dorées du rock britannique et se pose en héritier des Kinks en célébrant et en moquant gentiment le mode de vie plan-plan des banlieues grises de l'Angleterre.

    Mais musicalement, on ne s'ennuie pas : "Modern Life Is Rubbish" est un album pop richement produit, qui regorge de cordes, de cuivres et de chœurs comme à la grande époque de Tony Visconti dans les années 1970.

    Avec ce retour en arrière ouvertement nostalgique, Blur ne se contente pas de rendre hommage à un âge d'or : il pose tout simplement les bases de la Britpop, grâce à deux ingrédients secrets : le jeu de guitare redoutablement punchy et moderne de Graham Coxon, et la causticité des paroles de Damon Albarn, qui met en évidence son talent pour saisir l'air du temps, à la manière des frères Davies qu'il admire. Avec des morceaux comme Sunday Sunday et For Tomorrow, il a fait mieux que rivaliser avec eux.

    2. "Parklife" (1994)

    Il est là. L’album qui symbolise le mieux et à lui tout seul la Britpop, c’est lui. Cela aurait pu être son prédécesseur, mais il manquait un petit quelque chose à "Modern Life Is Rubbish" pour conquérir le pays. Une immédiateté peut-être. Son successeur n’a pas ce problème : quand un groupe ouvre un album avec un single aussi irrésistible que le discoïde Girls & Boys, il sait sans doute que sa vie va changer.

    C’est ce qui est arrivé à Blur avec "Parklife", et Damon Albarn en était évidemment parfaitement conscient au moment d’écrire cet album qui reprend peu ou prou les mêmes recettes que "Modern Life Is Rubbish", mais qui pousse tous les curseurs à fond dans une joyeuse célébration de la culture britannique et de toute son histoire musicale, de la pop baroque à la new wave en passant par le punk et le psyché.

    Il y a des morceaux dingos dans tous les coins, et certains annoncent déjà la brillante évolution future du songwriting du groupe (End of a Century, To the End, This Is a Low). C’est l’album d’un groupe en pleine confiance, qui veut bouffer la concurrence et laisser son empreinte sur son époque. Un pari réussi, mais si "Parklife" est un des albums les plus importants des années 1990 – et tellement cool qu’il annonçait le mouvement Cool Britannia –, il existe encore mieux dans la discographie de Blur.

    1. "13" (1999)

    Eh oui, le meilleur album de Blur n’a rien à voir avec la Britpop, et c’est sans doute pour cette raison qu’il a si bien vieilli. Peu importe : "13" constitue incontestablement le sommet créatif de la carrière du groupe. Après avoir enfin – et un peu involontairement – conquis les Etats-Unis avec son album précédent, Blur enfonce le clou dans la veine expérimentale en retournant enregistrer en Islande, cette fois sans son producteur maison, Stephen Street.

    À la place, le groupe a la bonne idée de faire appel à William Orbit, qui vient d’accompagner Madonna dans la création du sensationnel "Ray of Light" (1998). Et si cette alliance surprenante sur le papier fait des étincelles, c'est d'abord et surtout parce que cet album est d’une noirceur et d'une sincérité inédites dans la discographie de Blur.

    Composé après la rupture de Damon Albarn avec Justine Frischmann d’Elastica, "13" est un disque hanté par le fantôme de cette ex, qui lui inspire certains des morceaux les plus bouleversants du groupe, du gospel introductif de Tender à la ballade fatale No Distance Left to Run en passant par les expérimentations sonores flippantes de Caramel.

    Ajoutez Coffee & TV, un single adorablement triste – écrit et chanté par Coxon – qui vous fait fondre le cœur à chaque écoute, et vous obtiendrez un chef-d’œuvre intemporel qui trône confortablement en haut de ce classement.

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