Le shoegaze a 30 ans : quels sont les meilleurs albums de l’histoire ?

En 1992, le genre musical le plus cool de la décennie n’avait pas encore entamé son déclin. Au contraire, il était au sommet de sa relative popularité chez les adeptes de rock indépendant, et les groupes prenaient le train des pédales d’effets en marche. Sans ordre particulier, nous avons sélectionné nos dix préférés. Montez le volume à onze, et c’est parti !
  • The Jesus & Mary Chain – "Psychocandy" (1985)

     

    Bien sûr, le premier album des frères Reid n’entre pas dans la case du shoegaze au sens strict, mais sans lui, le courant n’existerait simplement pas. « Ecrire des chansons des Shangri-Las avec le son de Einstürzende Neubauten », voilà le projet de The Jesus & Mary Chain, et cette ambition n’a jamais été mieux accomplie que sur Psychocandy, cet album proto-shoegaze où des mélodies surf pop 60’s dignes des Beach Boys passent à la moulinette d’une distorsion qui crée un chaos sonore absolument réjouissant.

    Les frères Reid (Jim au chant, William à la guitare) possédaient aussi deux qualités qui ont fait défaut à la plupart des groupes de shoegaze ensuite : une arrogance et une attitude je-m’en-foutiste dignes des plus grandes rockstars, et surtout une concision extraordinaire dans leurs compositions. Bref, "Psychocandy" est le seul album au moins aussi important que "Loveless" dans cette liste.

    My Bloody Valentine – "Isn’t Anything" (1988)

     

    Si "Loveless" est l’album de My Bloody Valentine qui symbolise effectivement et définitivement le shoegaze, "Isn’t Anything" est celui sans lequel le genre n’existerait pas. Certes, avant ce premier chef-d’œuvre, il y avait déjà eu le choc déclenché par l’arrivée quelques mois plus tôt de l’EP "You Made Me Realise". Mais "Isn’t Anything" reprend les choses exactement au même point et poursuit l’entreprise de démolition des canons d’une chanson rock.

    Il y a dans les compositions et dans le son de "Isn’t Anything" une agressivité primaire que l’on ne retrouvera pas sur "Loveless", et pour beaucoup de fans adeptes d’un shoegaze un peu plus brutal – qui adorent cette sensation très SM de se faire tabasser et caresser en même temps – cet album constitue le vrai sommet de la carrière de My Bloody Valentine.

    Pale Saints – "The Comforts of Madness" (1990)

     

    Beaucoup trop souvent oublié au sein de la myriade de grands noms du grand label 4AD, le premier album des Pale Saints est un rouleau-compresseur qui rivalise sans peine avec les plus grands noms du shoegaze. Quand on chante et joue de la basse comme le leader Ian Masters, la musique est tout de suite plus facile : "The Comforts of Madness" porte indubitablement la trace d’un certain génie mélodique.

    Et il y a une dimension à la fois naïve et épique dans ces morceaux construits comme des affrontements pour chaque instrument. La batterie et les guitares attaquent avec une clarté exemplaire, à l’image du grandiose Sight of You, qui résume parfaitement la fragilité adolescente de beaucoup de groupes de shoegaze. Indépassable.

    Ride – "Nowhere" (1990)

     

    Comme l’indique très bien sa pochette, écouter le premier album de Ride équivaut à se prendre une énorme vague dans la tronche. Car en matière de shoegaze dit « traditionnel », il est difficile de faire plus puissant et efficace que le groupe d’Oxford, qui crée sur chaque morceau des épopées soniques spectaculaires, portées par des mélodies très au-dessus de l’immense majorité des groupes de shoegaze, et qui expliquent en partie le succès commercial relatif de Ride.

    Mais dans la recette magique de Ride, il y a bien sûr la manière dont les guitares de Mark Gardener et Andy Bell se répondent, leurs harmonies vocales irrésistibles, et une section rythmique de mammouth, avec un batteur exceptionnel – Laurence Colbert – qui a toujours été comparé à Keith Moon. On fait pire.

    Slowdive – "Just for a Day" (1991)

     

    Le statut dont jouit aujourd’hui Slowdive est à la hauteur des critiques assassines reçues par le groupe au début des années 1990. Une seule écoute de leur premier album suffit pourtant à se demander ce que la presse musicale britannique avait dans les oreilles à l’époque (du grunge en l’occurrence).

    "Just for a Day" est une petite merveille de shoegaze mélancolique rendue irrésistible par la délicatesse du chant de Neil Halstead et Rachel Goswell, et des guitares qui créent un cocon sonore assez incroyablement douillet et propice à la rêverie. Un retour de hype bien mérité.

    My Bloody Valentine – "Loveless" (1991)

     

    Toujours imité, jamais égalé, le deuxième album du groupe irlandais fait partie du club très fermé des disques qui définissent et symbolisent plus que tous les autres un genre musical. La première écoute de "Loveless" revient à faire l’expérience d’une hallucination, et la prouesse de cet album est que ce sentiment de désorientation des sens produit par les textures de guitares incroyables et les paroles imbitables de Billinda Butcher et Kevin Shields ne disparaît jamais vraiment, année après année.

    Plus que le disque de shoegaze ultime, "Loveless" est une cathédrale sonore unique dans l’histoire de la musique, patiemment construite par Kevin Shields pendant des années dans des conditions dantesques longuement documentées – la légende veut que le coût de production exorbitant de l’album est en partie responsable de la faillite du label Creation Records. Cela en valait la peine.

    Ride – "Going Blank Again" (1992)

     

    Rien que pour son morceau introductif – Leave Them All Behind, odyssée renversante de plus de huit minutes – le deuxième album de Ride mérite sa place sur cette liste. Mais on y trouve également quantité d’autres morceaux qui font un usage redoutablement efficace de toutes les pédales d’effets imaginables. Et ce qui impressionne surtout avec "Going Blank Again", c’est la capacité du groupe à ne pas se répéter – un écueil de beaucoup de groupes de shoegaze.

    Cet album conserve certes tous les ingrédients qui font le sel de "Nowhere", mais il voit Ride s’ouvrir à une multitude de références et explorer de nouvelles directions avec beaucoup de réussite, et ce dès un deuxième titre très jangle pop, Twisterella. Insuffisant pour sortir de l’ombre écrasante de My Bloody Valentne, mais Ride mérite amplement sa place sur le Mont Rushmore du shoegaze.

    Spiritualized – "Lazer Guided Melodies" (1992)

     

    En tant qu’ancienne moitié de Spacemen 3, Jason Pierce s’y connaissait un peu en pédales d’effets au moment de quitter Peter Kember en 1991 pour former Spiritualized, le groupe qui lui apportera la consécration que son talent mérite.

    Epoque oblige, le premier album de ce projet est donc encore marqué par le goût de Pierce pour la distorsion et les envolées néo-psychédéliques, même s’il est aussi influencé par le krautrock.

    Et si nous décidons de le classer dans le shoegaze, "Lazer Guided Melodies" préfigure quand même déjà les futures excursions bien connues de Spiritualized dans ce mélange si singulier entre space rock et gospel. La première pierre d’un futur monument.

    The Verve – "A Storm in Heaven" (1993)

     

    Quand on connaît toute la trajectoire du groupe responsable de Bitter Sweet Symphony, on a souvent du mal à croire que The Verve a commencé comme un groupe de shoegaze bien davantage marqué par les trouvailles sonores du guitariste Nick McCabe que par des tubes susceptibles de faire le tour du monde.

    Le groupe de Wigan n’a certes pas fait joujou longtemps avec les pédales d’effets – même si leur deuxième album, "Northern Soul", en contient encore quelques beaux restes – mais "A Storm in Heaven" est un classique shoegaze magnifiquement involontaire.

    Il faut dire qu’à l’époque, peu de groupes du genre pouvaient se targuer de compter dans leurs rangs un chanteur aussi capable et charismatique que Richard Ashcroft, ce qui les place forcément très à part dans la grande histoire du shoegaze.

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