2023 M06 19
8. "In Times New Roman..." (2023)
Le huitième album du groupe de Josh Homme n’est pas mauvais – loin de là – mais il est trop inégal pour rivaliser avec ses prédécesseurs. La face A est particulièrement décevante : prometteur dans ses premières secondes, le morceau d’intro (Obscenery) apparaît finalement davantage comme une maquette que comme un titre très abouti. Heureusement, le single Paper Machete rattrape tout de suite le coup en puisant dans le son classique de Queens of the Stone Age.
Mais il faut ensuite entendre la face B pour entendre le groupe prendre des risques payants : la balade orchestrale Carnavoyeur est une réussite, de même que l’étonnante Sicily, qui rappelle les expérimentations sonores brutes et heavy de "Era Vulgaris". Idem pour le beau bordel apocalyptique de 9 minutes qui achève l’album, (Straight Jacket Fitting) après un autre single convaincant mais peut-être un peu trop classique aussi (Emotion Sickness).
On parie en revanche sur le fait que le très énervé What The Peephole Say va devenir un classique des pogos aux concerts du groupe. C’est déjà pas mal, et c’est même beaucoup quand votre leader semble frôler le trépas régulièrement, mais en matière d’albums crépusculaires hantés par la mort, on préfère encore "...Like Clockwork".
7. "Villains" (2017)
Beaucoup de fans de la première heure ont préféré se boucher les oreilles lorsqu’ils ont entendu pour la première fois The Way You Used to Do, le premier single de l’album le moins stoner du groupe. Ce morceau glam avec un son de guitare à la T. Rex aurait pu être enregistré l’année de la naissance de Josh Homme (1973) et l’influence de Marc Bolan est aussi outrageusement perceptible sur Un-Reborn Again, sorte de version musclée de Telegram Sam. Est-ce une mauvaise chose ?
Bien sûr que non, tout comme la présence de Mark Ronson à la production. Le son de ce dernier n’est peut-être pas assez rêche au goût de certains, mais on ne peut pas nier les talents de producteur de l’homme derrière le "Back to Black" d’Amy Winehouse. Après le très déprimant "...Like Clockwork", Ronson redonne du souffle à QOTSA, et on entend clairement un groupe qui s’amuse et veut secouer ses fans.
Entre Bowie et Led Zep, Feed Don’t Fail Me est une intro incroyable, Head Like a Haunted House est un bonbon barré et dopé au thérémine, et le riff de The Evil Has Landed est aussi diabolique son titre l’indique. Ajoutez une conclusion épique de rigueur – Villains of Circumstance –, et vous obtenez l’album qui a prouvé que même vingt ans après sa création, le groupe pouvait se réinventer.
6. "...Like Clockwork" (2013)
Sans doute l’album le plus clivant du groupe. Adulé par certains fans, "...Like Clockwork" est un disque très downbeat, tellement dominé par les balades que Josh Homme voudra s’en écarter au maximum pour son successeur. Il n’est pourtant pas manchot en la matière, comme le prouvent Kalopsia, I Appear Missing ou le titre éponyme.
Mais "...Like Clockwork" est un album coupé en deux : l’autre moitié contient des morceaux parfois incroyablement funky – I Sat by the Ocean, If I Had a Tail, Smooth Sailing – qui préfigurent paradoxalement ce que sera "Villains" quelques années plus tard et qui tranchent complètement avec l’ambiance intime de cet album, enregistré après de graves soucis de santé de Josh Homme.
Plus que sur "Era Vulgaris", le casting pléthorique des guests est inutilement bling-bling (Jake Shears, Elton John, Alex Turner, Trent Reznor…), et au-delà du retour symbolique de Nick Oliveri, on retient surtout le punch du jeu de batterie de Dave Grohl, appelé à la rescousse après le départ de Joey Castillo, et qui crée une filiation un peu en trompe-l’œil avec le mythique "Songs for the Deaf", sauf sur My God is the Sun, morceau très vintage QOTSA.
5. "Lullabies to Paralyze" (2005)
Le quatrième album de Queens of the Stone Age marque un tournant dans la carrière du groupe. Après le triomphe de "Songs for the Deaf", Nick Oliveri a été viré, mais finalement, il n’était pas si indispensable que cela.
QOTSA a toujours été le projet de Josh Homme, et il le prouve sur ce "Lullabies to Paralyze" sombre et psychédélique, où certains titres semblent réellement avoir été composés au coin du feu en invoquant des sorcières (Tangled Up in Plaid, Someone's in the Wolf, You Got a Killer Scene There, Man..).
Avec ses 60 minutes au compteur, cet album n’est évidemment pas aussi cohérent et dense que son prédécesseur, mais on y trouve quand même une triade de grands singles pop qui annoncent "Era Vulgaris" (l’enchaînement Burn the Witch, In My Head, Little Sister) et encore quelques gros morceaux qui réveillent les morts (Medication, Everybody Knows That You Are Insane, Broken Box).
Et tout ça sans compter deux excellentes balades, Long Slow Goodbye et surtout I Never Came, où Joey Castillo fait presque oublier Dave Grohl à la batterie pendant que Josh Homme fait des prouesses avec son falsetto et lâche un solo beau à pleurer. Album beaucoup trop sous-coté.
4. "Era Vulgaris" (2007)
Le vilain petit canard de la discographie de Queens of the Stone Age, mais ce statut reste aujourd’hui encore un mystère. "Era Vulgaris" possède une qualité rare : c’est à la fois un album très accessible, porté par certains des singles les plus accrocheurs du groupe – le riff ultra-efficace de 3's & 7's, le slow Make It wit Chu, sur lequel tout le monde a déjà essayé d’emballer – et un disque qui révèle davantage ses qualités à chaque écoute, tant il contient de pépites cachées.
Cela commence dès l’intro avec Turnin' on the Screw, son pont psyché apocalyptique, sa rythmique pachydermique et ce son métallique à la Gary Numan si particulier que l’on retrouve sur tout l’album.
Les morceaux sont souvent dissonants et surtout encore plus robotiques que les standards habituels du groupe – I’m Designer, Misfit Love, Battery Acid, River In The Road… – et même le refrain du single Sick, Sick, Sick (où on entend Julian Casablancas !) est très loin d’être taillé pour toutes les oreilles. Bref, "Era Vulgaris" est l’album le plus sous-estimé de Queens of the Stone Age, mais ceux qui savent, savent.
3. "Queens of the Stone Age" (1998)
Dès son premier album, Josh Homme a prouvé qu’il fallait prendre son nouveau projet très au sérieux. Trois ans après la séparation de Kyuss, il embauche le dernier batteur de son groupe culte de stoner, pour enregistrer avec lui ce disque étonnant, mélange improbable de rythmiques robotiques à la limite du krautrock et d’un délicieux son de guitare de fuzz qu’on ne retrouvera jamais vraiment par la suite. Ce mariage est merveilleusement mis en évidence dès Regular John, titre d’intro fabuleux où l’on comprend pourquoi QOTSA est devenu un groupe énorme.
Et ce n’est pas tout : outre des morceaux parfaits pour le headbang – Walkin’ on the Sidewalks, How to Handle a Rope, Mexicola… –, on compte les perles variées à la pelle : Avon et son refrain bizarrement pop, If Only et son riff largement emprunté aux Stooges (on pardonne), I Was a Teenage Hand Model et ses sonorités inquiétantes qui annoncent Rated R ou encore There Aren’t the Droids You’re Looking For, qui prouve qu’en plus de savoir déjà composer des morceaux complètement tordus à la Captain Beefheart, Josh Homme ne manque pas d’humour.
Ça fait beaucoup pour un premier album, et ça mérite largement une place sur le podium.
2. "Songs for the Deaf" (2002)
Album-concept pensé comme un road trip en voiture à travers les radios du désert de Mojave, "Songs for the Deaf" aurait aisément pu être un flop, écrasé par son ambition. Oui mais non : le troisième album de QOTSA a été enregistré lorsque le groupe était à son sommet. Pour le dire simplement, dès que la clé est mise dans le contact, il est impossible d’arrêter ce bulldozer de chansons qui détruisent tout sur leur passage à une vitesse ahurissante.
Dave Grohl tape sur sa batterie comme s’il était possédé par le démon, et on peut en dire autant de Nick Oliveri et Mark Lanegan, qui se partagent le micro avec Josh Homme. Ce dernier envoie des riffs irrésistibles sur quasiment tous les morceaux (No One Knows, Go With The Flow…) et son falsetto devient officiellement l’arme secrète du groupe.
Le "Elvis roux" est officiellement né, et il cache même une piste qui achève ce chef-d’œuvre dans une ambiance orchestrale magnifiquement flippante (Mosquito Song). Inutile d’épiloguer, "Songs for the Deaf" est un album culte et un disque fondamental du revival rock du début des années 2000, à mettre à la même table que les classiques des Strokes, des Libertines et des White Stripes. Et pourtant, Queens of the Stone Age a fait encore mieux…
1. "Rated R" (2000)
Combien d’albums peuvent se targuer d’afficher une entrée en matière aussi mémorable que celui-ci ? Feel Good Hit of the Summer est un banger absolu et un titre générationnel pour beaucoup d’ados ayant grandi au début des années 2000. Véritable cauchemar des puritains américains, ce single a aussi le mérite d’annoncer clairement la couleur de l’album, au cas où le message affiché sur la pochette n’était pas assez explicite.
Bande-son officielle de toutes les substances qui altèrent l’esprit, et premier disque composé et enregistré avec Nick Oliveri – qui chante évidemment sur les morceaux les plus vénères – "Rated R" réussit à faire ressentir certains effets de la drogue sans en consommer, grâce notamment à l’ambiance paranoïaque qui émaille de nombreux morceaux, comme le dissonant Leg of Lamb et surtout le dément Better Living Through Chemistry, marqué par un riff obsédant et des percus hallucinogènes.
Cet état second se poursuit sur le terrible single Monsters in the Parasol et ses paroles drôlement cheloues, l’étrange In The Fade chanté par Mark Lanegan où le groupe commence déjà à très bien utiliser les synthés, le bel instrumental Lightning Song et la cacophonie de I Think I Lost My Headache, qui clôt le trip dans le chaos.
À la fois toujours surprenant mais cohérent, "Rated R" est l’album parfait d’un groupe de rock qui s’apprête à conquérir le monde avec des chansons pop aussi redoutables que The Lost Art of Keeping a Secret. Et c’est ce qui lui vaut la première place.