Le CD a 40 ans : histoire d’une galette qui refuse de disparaître

Donné pour mort depuis des années, ce bon vieux disque compact fait de la résistance. Et pour son quarantième anniversaire, il s’offre même un petit revival inattendu grâce aux déboires du vinyle. Retour sur les quatre premières décennies mouvementées du CD, le support mal-aimé de la musique.
  • C’était le 17 août 1982. Ce jour-là commence officiellement chez nos voisins allemands la production des premiers disques compacts contenant de la musique. C’est une révolution technologique : pour la première fois, les albums sont stockés sur un support numérique, lu grâce à une diode laser. Cette innovation est le fruit de la collaboration entre deux géants de l’électronique, Philips et Sony, qui s’entendent sur les normes technologiques du format, notamment le nombre de minutes d’enregistrement qu’il peut contenir.

    La légende – controversée – raconte que la limite de 74 minutes a été choisie afin de pouvoir contenir l’intégralité de la Symphonie n°9 de Beethoven. Une explication qui aurait du sens : les premiers CD vendus à partir d’octobre 1982 visent d’abord les adeptes de musique classique réputés fortunés, car le support est vendu beaucoup plus cher (200 francs de l’époque, soit 30 euros, une fortune) que le vinyle alors dominant, sans parler du prix des premiers lecteurs de CD comme le Sony CDP-101, qui peuvent atteindre 1000 euros.

    (Photo : Atreyu / Wikimédia Commons / CC BY 3.0)

    Mais à l’époque, rien n’est trop beau pour écouter celui que la publicité présente comme le support du futur. Il faut dire que le CD possède alors une quantité incalculable d’atouts pour ringardiser le vinyle : beaucoup plus compact et réputé de meilleure qualité sonore – une question qui n’a jamais fait consensus chez les audiophiles – il est surtout beaucoup plus pratique, puisqu’il ne nécessite pas d’être retourné et permet d’accéder facilement à un morceau.

    "Brothers in Arms" de Dire Straits sera le premier CD à dépasser le million d’exemplaires vendus.

    La robustesse du CD est aussi jugée infiniment supérieure à celle du disque microsillon, très sensible à la poussière et aux rayures, ce qui lui permet d’éviter les craquements et le souffle caractéristiques des vinyles, qui horrifient les aficionados de classique. Au début de l’année 1983, le CD fait son apparition en France, où il met des années à s’imposer en raison de son coût.

    Mais après des débuts balbutiants où d’anciens vinyles sont réédités – les premiers CD fabriqués sont des albums d’ABBA et Billy Joel – via des pressages médiocres réalisés à la hâte et vendus pourtant au prix fort, le CD s’impose grâce aux albums enregistrés intégralement en numérique, comme le tout premier du genre, le très pénible Brothers in Arms de Dire Straits (1985), véritable vitrine technologique utilisée pour vanter les mérites du CD pendant des années, et qui sera le premier à dépasser le million d’exemplaires vendus.

    Tout s’enchaîne alors : les lecteurs de CD supplantent les platines dans les ventes en 1986, et les CD surpassent les vinyles deux ans plus tard, en 1988. L’âge d’or du support peut commencer : pendant la décennie 1990 et le début des années 2000, des dizaines de milliards de CD s’écoulent – vendus entre 15 et 20 dollars chacun – et permettent à l’industrie musicale de rouler sur l’or.

    Le support est en effet très rentable et peu cher à produire – plus ou moins un dollar –, car il est le plus souvent accompagné d’un simple boitier en plastique qui s’avère en réalité très fragile.

    Les chiffres donnent le tournis : en 2000, près d’un milliard de CD sont vendus rien qu’aux Etats-Unis. Le vinyle et la cassette audio sont alors totalement rayés de la carte, mais le CD est en fait à l’aube d’un déclin vertigineux. Car après les sommets atteints au début des années 2000, le support est frappé de plein fouet par l’arrivée de l’iPod et des autres lecteurs mp3, qui accompagnent la montée en puissance spectaculaire du piratage.

    Face au mp3, le CD est désormais considéré à son tour comme peu pratique et fragile, et la problématique de son coût est exacerbée par une nouvelle technologie gratuite et donc inarrêtable, qui le dévore tout cru. La situation ne s’améliore pas ensuite avec le développement des services de streaming légaux comme Spotify et Deezer, qui ont fini par dépasser ces dernières années le CD dans les revenus de l’industrie musicale, malgré les sommes ridiculement faibles qu’ils versent à la plupart des artistes.

    Résultat, les ventes de CD s’effondrent brutalement et atteignent un plus bas historique en 2020, avec seulement 40,16 millions d’exemplaires vendus aux Etats-Unis. La même année, le CD a même été dépassé chez l’Oncle Sam par son ancien rival ressuscité, le vinyle. Car parallèlement au déclin du CD, le microsillon a connu un retour en grâce désormais largement documenté depuis une bonne dizaine d’années.

    Mais si le vinyle est infiniment plus classe que le pauvre CD, il est aussi en train de devenir incomparablement hors de portée de la plupart des bourses. En cause, une pénurie de matières premières, et surtout la surproduction des grosses majors qui saturent les rares usines de fabrication de vinyles et allongent considérablement le délai d’obtention des précieuses galettes noires pour les artistes plus modestes qui en commandent.

    Il n’en fallait pas plus pour faire renaître à son tour le CD. Toujours aussi rapide et peu coûteux à fabriquer, il séduit désormais les artistes actuels comme Orelsan, qui vient d’écouler plus de 140 000 exemplaires de son dernier album en CD, disponible en 15 versions différentes et aléatoires qui rappellent les vinyles colorés limités.

     

    Et son amour du support est également perceptible dans la nouvelle collection de sa marque de mode, Avnier, où le CD est largement mis à l’honneur. Des initiatives qui rappellent que les fans de certains genres musicaux comme le rap ou la k-pop restent globalement hermétiques au vinyle et donc forcément plus attirés par le seul autre support physique collectionnable (on ne compte pas le SACD, désolé), associé en outre à la nostalgie des années 1990.

    Et plus largement, il ne faut pas s’y tromper : en France, le CD reste le premier support physique vendu (deux tiers du marché) et la deuxième source de revenus pour l’industrie musicale derrière le streaming. Tout simplement parce qu’il reste un format populaire encore vendu en masse dans les grandes surfaces et très écouté en voiture.

    Tandis que le prix de vente du vinyle neuf dépasse désormais allègrement les 30 euros, ce qui le réserve à un public élitiste et aisé, celui du CD reste au moins deux fois plus faible. Peut-être que cela ne durera pas si le support connaît un revival semblable à celui du vinyle : en 2021, les ventes de CD sont reparties à la hausse pour la première fois depuis 17 ans.

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