2022 M07 26
Rosalía - « MOTOMAMI »
Rosalia est une star, un phénomène, une virtuose même, qui a étudié jusqu'au sang le flamenco, le piano et le chant. Sa musique n'est pourtant que simplicité, comme si elle avait tout désappris pour se réduire à l'essentiel. Soit ici une tonne de propositions différentes (des musiques latines, du hip-hop, du R&B, du reggaeton, etc.), toutes synthétisées et rendues digestes dans des mélodies puissantes et des refrains qui claquent. Mention spéciale aux invités (The Weeknd, Pharrell, James Blake) venus enrichir la musique de l'Espagnole plutôt que de simplement chercher à participer à la fête d'un album promis au succès, et déjà essentiel.
Fontaines D.C. - « Skinty Fia »
« Désormais installés à Londres, les membres de Fontaines D.C. profitent de leur troisième album pour questionner leur identité irlandaise en dix morceaux toujours aussi lettrés et réflexifs. » Ça, c'est ce que l'on écrivait en intro de notre chronique de « Skinty Fia » en avril dernier. On ne va donc pas s'épancher à nouveau sur ce disque : simplement préciser qu'il n'y a peut-être pas à l'heure actuelle musique britannique plus morveuse, désabusée, nerveuse, poétique et contrastée que celle de Fontaines D.C. Sachant que les concurrents se nomment The Lounge Society, Geese, Sorry, PVA ou encore black midi, c'est évidemment un énorme compliment.
Pusha T - « It’s Almost Dry »
Pusha T est un homme unique sans être démonstratif, surprenant sans être exubérant. Sa discographie, avec les Clipse ou en solo, le prouve. « It’s Almost Dry » en atteste également. De Brambleton à I Pray For You, en duo avec son frère (Malice), le Virginien profite de ces douze nouveaux morceaux pour faire ce qu'il fait de mieux : du cocaine rap. « It's back to the basics », clame-t-il sur Rock N Roll : c'est vrai qu'avec ses samples de soul (merci Kanye West !), ses scratches, ses variations autour du même thème (ses débuts dans la drogue, notamment) et le retour de Pharrell à la production, Pusha T avance ici en milieu connu, parfaitement armé, charismatique et sûr de ses forces.
Blackhaine - « Armour 2 »
Le Mancunien s'appelle ainsi en hommage au film de Mathieu Kassovitz. D'ailleurs, Blackhaine, également chorégraphe chez Kanye West ou Mikky Blanco, tente à son tour de développer des mélodies narratives, interdites de lumière, idéales pour être écoutées au milieu d'un endroit désolé, abandonné par toute forme d'espoir. C'est dire si tout est grave au sein d'« Armour 2 », typiquement le genre de projet qui, avec ses déluges de violon, son grime atmosphérique et ses pianos dramatiques, s'écoutent en regardant le monde s'écrouler.
Kendrick Lamar - « Mr. Morale and the Big Steppers »
On voit déjà les mauvaises langues prêtes à sauter sur les quelques défauts de l’album et dire : « Ouais, enfin, si ce n’était pas un disque de Kendrick Lamar, il ne figurerait même pas dans cette liste ». Faux, archifaux : le Californien livre ici une performance rare, captivante et riche en sous-textes. C'est même là tout le principe d’un disque aussi ambitieux : y dénicher de l’ambiguïté, des propositions audacieuses, des textes suffisamment complexes pour inciter à y revenir, encore et encore. Sur ce plan, c'est indéniable, « Mr. Morale and the Big Steppers » est une immense réussite.
Superpoze - « Nova Cardinale »
En 2017, on s'émerveillait en écoutant les symphonies de poche de « For We The Living » : un très beau deuxième album, tout en apesanteur. Superpoze, revenu de ses expériences dans le théâtre, les soundtracks et le rap (Nekfeu, Lomepal), creuse plus profondément encore son sillon avec ce magnifique « Nova Cardinale », ode acoustique et baroque pour laquelle Nils Frahms et Max Richter vendraient probablement leur collection de synthés. Geneva, Parabel ou encore Cardinal Point : impossible de ne pas ressortir de cette œuvre narrative sans être ensorcelé, voire même émerveillé par tant de grâce et de délicatesse.
Orelsan - « Civilisation »
La première partie d'année a été riche niveau rap français : Vald, Niska, Gazo, Josman, Jazzy Bazz, tous ont sorti de (très) bons projets, mais force est de constater que le Caennais a éclipsé la concurrence avec « Civilisation ». Des brûlots politiques, des manifestes sociaux, des morceaux introspectifs, des titres clubs, des comptines enfantines, un featuring avec les Neptunes : il y a de tout sur ce quatrième album, conçu pour séduire et faire d'Orelsan le digne représentant d'un rap à la fois exigeant, accessible et populaire.
Charlotte Adigéry & Bolis Pupul - « Topical Dancer »
Existe-t-il une école supérieure de savoir-faire pop en Belgique ? Comment expliquer, sinon, de Movulango à Robbing Millions, en passant par Sylvie Kreusch, cet essaim d'artistes portés sur le même grand écart stylistique ? Toujours est-il que Charlotte Adigéry et Bolis Pupul s'autorisent la même liberté, et l'applique à la lettre le temps d'un premier album rempli à ras bord d'humour, de clins d'œil à Talking Heads ou Neneh Cherry, de paroles trilingues (créole, français, anglais), de sujets sociétaux (racisme, harcèlement, addiction aux réseaux sociaux) et de mélodies que l'on rangera faute de mieux dans la sphère électro. Ça a l'air très étrange, pompeux, voire abscons dit comme ça, et c'est injuste : on vous laisse donc avec cette musique insolite qui, franchement, mérite mieux que des mots.
Denzel Curry - « Melt My Eyes See Your Future »
Sur « Melt My Eyes See Your Future », digne successeur de « ZUU », le rappeur de Carol City marche ouvertement dans les pas des Soulquarians avec ses mélodies soulful, à la limite du jazz par instants (Terrace Martin, Kamasi Washington et Robert Glasper sont au casting), profitant de chaque morceau pour raconter un bout de son intimité, de sa vision de l'Amérique, de sa relation au succès, etc. Dans les faits, cela donne un disque qui ose l'expérimentation (ici, du mumble rap ; là, du trip-hop ou de la drum'n'bass ; ailleurs, des beats purement explosifs), flirte avec la nouvelle scène UK (Slowthai) et trouve son climax avec Walkin, un single qui résume à lui seul la capacité de Denzel Curry à basculer d’un beat tout doux à un rythme trap tout en conservant le même sample.
Moderat - « MORE D4TA »
Sascha Ring, Gernot Bronsert et Sebastian Szarysont de purs produits de la scène électronique berlinoise, l'incarnation de son succès à l'international, s'autorisant même à l'occasion des incartades vers la pop. Six années d'absence n'ont pas suffi à changer la donne : le quatrième album de Moderat continue de vendre du rêve - un rêve agité, tout de même, rythmé par des beats dansants, des nappes de synthés contemplatives, un chant angoissé et des expérimentations qui regardent Radiohead du coin de l’œil. Traduction : « MORE D4TA » est un remarquable exercice d'équilibriste, de virtuosité au service de la mélodie.