2022 M04 27
« Pour moi, le gospel, le R’n’B, le hip-hop, le jazz - c’est notre musique. C’est nous. C’est mon héritage. C’est une grande maison, où l’on va de pièce en pièce. » Pour expliquer son amour de la fusion de styles, le pianiste Robert Glasper convoque un “nous” qui parle évidemment à l’ensemble de la communauté afro-américaine. À travers sa musique, c’est elle qu’il célèbre et encourage au fil de ses albums. Parmi eux, la trilogie “Black Radio”, qu’il vient d’achever exactement dix ans après un premier volume qui avait propulsé sa carrière. Chaque fois, il y invite le gratin des artistes afro-américains, de H.E.R. à Esperanza Spalding ou Gregory Porter, tissant un portrait de la musique noire aux États-Unis.
Ce mélange, on peut dire qu’il est né dedans : sa mère est une chanteuse qui écume tous les clubs de Houston, aussi à l’aise dans le jazz que le RnB, la pop ou le gospel. Un temps passionné de sport, Glasper va vite réaliser que la musique coule dans ses veines. Et comme tout musicien de jazz, il parfait sa formation à New York. En peu de temps, il s’y forge un CV de rêve. Croisant la route des Roots, qui l’initient au hip-hop, il va jouer avec Mos Def, Q-Tip, J Dilla ou Kanye West, et plus tard Kendrick Lamar sur une grande partie de l’album “To Pimp A Butterfly". On le retrouve aussi auprès d’Herbie Hancock ou Aretha Franklin, et la liste est encore longue.
En solo ou avec son groupe électrique Experiment, il est un parfait représentant d’une nouvelle génération de jazzmen cherchant à réactualiser un genre devenu poussiéreux. À l’image de musiciens comme Kamasi Washington, Christian Scott (avec qui Glasper a fondé le groupe R+R=NOW en 2018) ou plus récemment Jon Batiste, le pianiste s’est montré pionnier dans sa volonté de s’adresser tant aux artistes de jazz que de hip-hop. Et surtout à ceux situés dans l’interstice entre les deux styles.
Pour prouver sa démarche, Glasper fait en 2012 un choix radical : il décide que son “Black Radio” concourra aux Grammys non pas dans la catégorie jazz, mais RnB. « J’aurais perdu, parce qu’ils ne l’auraient pas compris », a-t-il expliqué à Vanity Fair. Un choix payant, puisqu’il devient le premier artiste instrumental à remporter ce trophée. Ouvrant la voie à l’effervescence actuelle du jazz, des deux côtés de l’Atlantique.
Mais le véritable combat du pianiste n’est pas tant pour le jazz - mais pour l’âme des musiques noires. Et s’il a réactivé sa “Black Radio” en 2022, c’est car cette âme lui paraissait menacée. Après la mort de George Floyd et la flambée de Black Lives Matter, comment rester silencieux ? Glasper sait à quel public il veut parler, comme il le prouve en désertant les clubs jazz : « Les propriétaires n’ont pas changé, ce sont toujours de vieux hommes blancs racistes. Et moi, je ramène tous ces jeunes gens noirs dans ces endroits racistes ? Non, vous ne méritez pas mon public. » Qu’on n’aille pas croire qu’il est là pour faire de grands discours. Avant toute chose, ce contexte lourd lui « donne l’envie de créer de la musique qui rende les gens heureux ». Pas besoin de chercher plus loin.