Comment un obscur groupe de jazz a influencé tout le gratin du rap américain ?

Lorsqu’il a fondé le groupe de jazz-funk Cortex en 1974, le Français Alain Mion était loin de se douter qu’il deviendrait une véritable source d’inspiration pour les rappeurs outre-Atlantique. C’est pourtant ce qui s’est passé. La preuve en 5 morceaux.
  • Le sample est une technique qui consiste à récupérer un extrait sonore plus ou moins court d’un morceau existant. L’idée est ensuite de l’utiliser dans la création d’une nouvelle compo. Cette pratique a largement été popularisée au cours des années 80, notamment par le hip-hop. Comme vous vous en doutez, ces boucles reprises ne sont, pour la plupart du temps, pas libres de droit — il faut légalement attendre 70 ans après la mort de l’auteur pour qu’elles le deviennent. Les artistes doivent donc négocier au cas par cas les tarifs de ces emprunts s’ils veulent se les réapproprier. C’est ce qu’on appelle « clearer » un morceau. Et les prix peuvent alors s’envoler.

    Puisque souvent, les disques dans lesquels sont piochés ces samples ne datent pas d’hier, certains artistes oublient, volontairement ou non, de payer les sommes aux auteurs des chansons originales. En France, le groupe jazz-funk Cortex fondé par Alain Mion en 1974 a fait les frais de cette technique. Leur album « Troupeau Bleu » de 1975 est une véritable mine d’or à samples, que bon nombre de rappeurs américains ont parfois exploité de façon légale... ou pas. C’est ce que le principal intéressé racontait en 2014, dans un documentaire de GASFACE (ci-dessous) sobrement intitulé : Hunting For Rappers  (À la chasse aux rappeurs). De Tyler, The Creator à Rick Ross en passant par Flying Lotus, voici 5 morceaux qui doivent (presque) tout à Cortex.

    Rick Ross - Amsterdam x Prélude à Go Round

    La première fois qu'Alain Mion a entendu parler de Rick Ross, c’était via sa petite nièce. Lors d’une soirée, elle tombe sur Amsterdam et fait directement la connexion avec son oncle. Elle l’avertit, et le Français saisit la justice. Il obtient le paiement de ses droits, soit « l’équivalent d’une voiture, petite ou grosse, ça dépend des cas », comme il l’explique dans le documentaire. Rick Ross réitérera l’expérience notamment pour Oyster Perpetual (Oh! Lord), en « clearant » une nouvelle fois la piste.

    Tyler, The Creator feat. Casey Veggies — Odd Toddlers x Huit Octobre 1971

    Nouvel exemple avec Tyler, The Creator qui, avec sa chanson Odd Toddlers, a largement repris Huit Octobre 1971. Une initiative qu'Alain Mion n’a pas du tout aimé, comme il l’a fait savoir : « Tyler ? Je n’ai pas trop saisi ce qu’il faisait comme création… Ce qu’il a fait avec ses mots, je ne parle pas assez bien l’anglais pour avoir un avis. Mais ce qu’il a fait avec ma musique, je n’ai pas trop compris ! » À noter que ce Huit Octobre 1971 a également été repris par MF DOOM (One Beer) ou encore Wiz Khalifa (Visions), pour ne citer qu’eux.

    Curren$y – Mary x Chanson D’Un Jour D’Hiver

    Avec ce rappeur de La Nouvelle-Orléans, la chose n’a pas été si simple. Pour utiliser la boucle de Cortex qu’il reprend dans Mary, les deux parties n’ont pas pu trouver d’accord. Le tarif de l’Américain était insuffisant aux yeux du Français, qui a décliné l’offre. Au moment du documentaire, aucun arrangement n’avait été fixé et Curren$y continuait d’exploiter son morceau. Lupe Fiasco (Mural) et Logic (Dead President III) ont aussi samplé ce titre. 

    XXXTentacion feat Enzo! — Lunacy x Mary et Jeff

    Si tous les artistes mentionnés plus haut ont un certain âge, XXXTentacion appartenait à une génération plus récente. Pour autant, rien ne change et ce défunt rappeur s’est lui aussi frotté à l’œuvre de Cortex pour cette chanson parue sur « Members Only, Vol. 2 ».

    Captain Murphy - Mighty Morphin' Foreskin x Sabbat, Pt. 3

    Pour cet exemple, il faut remonter en 2012. Au beau milieu de l’année se pointe un rappeur inconnu qui malgré tout, réunit sur son disque la crème de la crème : Madlib, Just Blaze, Earl Sweatshirt… La toile s’enflamme et une partie de Cluedo géante débute. Après moult indices et péripéties, il s’avère que l’auteur de ce « Duality » n’est autre que… Flying Lotus ! Et devinez qui a encore été samplé ?

    Bonus : Damso - Amnésie x I Heard a Sigh

    Dans la première mixtape de Damso, « Batterie Faible », une chanson sortait particulièrement du lot : Amnésie, soit le récit sur fond d’égo-trip du suicide d’une de ses maîtresses. À l’intérieur, on entend un sample de I Heard a Sigh, extrait d’un album plus récent de Cortex. Alain Mion a refusé l’exploitation, puisque le titre du Belge n’est plus disponible sur les plateformes de streaming. À moins que cela soit la volonté de Damso ?