2021 M10 14
Afrikaa Bambaataa vs Kraftwerk (1982)
Afrika Bambaataa a beau se défendre comme il veut, prétendre que Planet Rock doit autant à Trans-Europe Express de Kraftwerk qu'à Ennio Morricone ou au Yellow Magic Orchestra, cela n'a pas empêché les hommes machines allemands d'attaquer le père de la Zulu Nation. Leurs réclamations ? Qu’ils leur soient versés 27,5 centimes de dollar par single vendu, soit un montant six fois supérieur aux royalties d’Afrika Bambaataa. Une victoire, certes, mais pas suffisante pour décourager les centaines d'artistes (Erykah Badu, Kendrick Lamar, LCD Soundsystem, etc.) ayant par la suite samplé Planet Rock. Après tout, est-on redevable à l'œuvre originale lorsqu'on en sample une reprise ?
M/A/R/S/S vs SAW (1987)
L'affaire se déroule en 1987, à une époque où les habits se portent larges, les nuques sont trop longues et où, dans le hip-hop comme dans les musiques électroniques, tout le monde croit encore que l'on peut sampler en toute impunité. Les Anglais M/A/R/S/S l'apprennent alors à leurs dépens. Il faut dire que les gars ont fait l'erreur de s'en vanter dans une émission de radio, éveillant ainsi les soupçons de SAW, dont le titre Roadblock est samplé sur Pump Up The Volume. Conséquence : tout ce beau monde entre en procès, tous se tirent dans les pattes, et l'affaire se règle finalement à l'aide d'un gros chèque dont on ignore encore le montant exact. Seule certitude : Pump Up The Volume ayant tout raflé en Europe, des premières places des hit-parades aux playlists des Dj’s, l'amende devait être salée.
De La Soul vs The Turtles (1989)
Si le flou juridique a longtemps permis à de nombreux artistes hip-hop de passer entre les mailles du filet, en 1989, la tendance change. Il a suffi d'un single pour ça : Transmitting Live From Mars de De La Soul, après que ces derniers aient flashé sur You Showed Me de The Turtles. Le titre en question est sorti en vingt ans plus tôt, les Anglais ne sont plus actifs depuis longtemps, et décident visiblement de se refaire une santé financière en intentant un procès à Prince Paul et sa bande.
« “Sampling” est juste un mot plus long pour dire “vol”, affirme le songwrirter-guitariste Mark Volman lors du procès. Celui qui affirme honnêtement que le sampling est une forme de créativité n’a jamais fait quoi que ce soit de créatif ». Réactionnaire ? Oui, probablement. Faux-cul ? Oui, sans aucun doute quand on sait que You Showed Me a été écrite par… The Byrds. Qu’importe : Mark Volman et ses potes empochent 1,7 millions de dollars grâce à cette affaire.
Biz Markie vs Gilbert O’Sullivan (1991)
En 1991, Biz Markie tombe en amour sur les premières mesures d’Alone Again (Naturally) de Gilbert O’Sullivan, tube ayant passé six semaines en première place des charts anglais à sa sortie en 1972. Inspiré, le rappeur new-yorkais encourage alors son producteur (l’immense Marley Marl !) à se réapproprier ces premières notes pour les besoins de son nouveau single, Just A Friend.
Dans la foulée, il contacte le chanteur irlandais et titille sa curiosité, avant que ce dernier ne se braque face au ton comique du morceau. « Je défendrai mes chansons jusque dans ma tombe pour m'assurer qu'elles ne soient jamais utilisées dans des scénarios comiques, ce qui serait un affront envers ceux qui l'ont achetée pour de bonnes raisons. » La justice américaine invoque alors le 7ème pêché capital (« Tu ne voleras point. ») et donne gain de cause à Gilbert O'Sullivan, faisant office de point de bascule dans l'histoire du hip-hop américain. Après ça, chaque groupe est invité à déclarer les samples utilisés et à les clearer en obtenant l'accord des ayants droits. Taquin, Biz Markie décide alors de nommer son album suivant « All Samples Cleared ».
Beastie Boys vs James Newton (1992)
Parfois, les bisbilles autour d'un sample tournent à l'avantage des sampleurs. Les Beastie Boys en attestent : en 1992, les New-Yorkais entrent en contact avec James Newton dans l'idée d'emprunter trois notes (do, ré et do bémol) à Choir pour les besoins de Pass The Mic. Problème : le flûtiste refuse le chèque et donne rendez-vous au groupe au tribunal. L'appât du gain, sans doute. Pas de bol : les juges estiment que les trois notes en question « ne sont pas sensiblement similaires et ne pourraient être reconnues par un auditeur lambda ». Fin de l'histoire ? Que nenni. Dans la foulée, les Beastie Boys auraient souhaité se faire rembourser le demi-million de frais d’avocats investi dans l'affaire. On en connaît un (James Newton, on parle de toi !) qui doit sacrément tirer la tronche...
Puff Daddy vs The Police (1997)
En 2000, les membres de The Police se reforment et enchaînent les interviews. Dans l'une d'entre elles, on peut entendre Stewart Copland dire à Andy Summers : « Tu devrais réclamer des royalties à Sting, c'est ta guitare qui a été samplée. Il se paye des châteaux en Toscane et nous, on a rien. » Et Sting de répondre : « Non, on n’a pas de châteaux. En Toscane on appelle ça des palazzos, si tu veux je te prêterai une chambre. » Pourquoi tant d'arrogance ? Tout simplement parce que « l'Anglais de New York » a réclamé 100% des royalties à Puff Daddy pour l'utilisation d'un sample d'Every Breath You Take sur I'll Be Missing You, qui fut un temps le single le plus diffusé en radio.
Un geste audacieux, et doublement ingrat. D'une, parce que le titre de Puff Daddy est un hommage à Notorious B.I.G, décédé quelques mois plus tôt. Et puis parce que la boucle samplée n'est autre que le riff de guitare d'Andy Summers...
Jay-Z vs Baligh Hamdi (2000)
À l’origine, Big Pimpin' est simplement un sample de Khosara Khosara de Baligh Hamdi, que Timbaland dit avoir trouvé sur un disque « license free », l’histoire d’un tube qui permet au rappeur new-yorkais d’entrer enfin dans la sphère mainstream à sa sortie, en 2000, et d’entamer une collaboration avec Hype Williams sur le clip, facturé à deux millions de dollars. En 2015, pourtant, le conte de fées mue en règlement de comptes.
Le neveu de Baligh Hamdi accuse alors Timbaland d'avoir samplé illégalement le morceau de son oncle. Et qu’importe si EMI Music Arabia avait déjà réclamé 100 000 dollars au beatmaker en 2001, Osama Fahmy souhaite rouvrir le dossier, froissé par la thématique sexuelle défendue par Jay-Z pendant près de 5 minutes. En vain : le tribunal innocente Jay-Z et Timbaland et assiste même fasciné à la performance de beatbox du producteur américain, visiblement plein d'idées lorsqu'il s'agit de prouver la complexité de son travail.
Eminem vs Jacques Loussier (2000)
« Mon fils l’a écouté et m’a rapporté que ma musique était jouée sur ce morceau. C'est pour cela que je me suis penché dessus ». La vérité, c'est qu’au moment d’écouter Kill You, extrait du troisième album d’Eminem, basé sur un sample de Pulsion, Jacques Loussier n'a pas n'hésité pas une seconde : « Les harmonies sont les mêmes, la tonalité est la même, l’air, la mélodie… Tout est identique sauf une petite note. Et ils ont utilisé ces deux mesures pour 4 minutes 20 de musique, c’est ça le problème. Fréquemment, les gens utilisent la musique de quelqu’un d’autre, mais seulement une ou deux notes, quelque chose de très court, rien de comparable avec l’originale. »
Dans la foulée, le jazzman français se lâche : il souhaite récupérer 10 millions de dollars de dommages et intérêts, demande à ce que « The Marshall Mathers LP » soit retiré des bacs et milite pour que les copies déjà présentes sur le marché soient détruites. Finalement, l’affaire se règle à l’amiable, probablement contre un chèque d’Eminem et de Dr. Dre, producteur du morceau.
Mac Miller vs Lord Finesse (2012)
Respecter les anciens. Sur le papier, c'est très beau. Le hic, c'est quand les pionniers se fichent des hommages rendus. À l'image de Lord Finesse qui, en 2012, réclame 10 millions de dollars à Mac Miller pour l'utilisation d'un sample de Hip 2 Da Game sur Kool Aid and Frozen Pizza. Affaire conclue ? Oui, serait-on tenté de répondre avec la voix agaçante de Sophie Davant. Au grand dam de Mac Miller qui, comble de l’ironie, avait décidé de publier ce morceau sur « K.I.D.S. (‘Kickin’ Incredibly Dope Shit) » … une mixtape gratuite.
Pharrell & Robin Thicke vs Marvin Gaye (2013)
Comme tout le monde en 2013, les ayants droits de Marvin Gaye ont entendu Blurried Lines et goûtent peu les similitudes que ce titre entretient avec Got It Give It Up du légendaire soulman. Pendant des mois, Pharrell et Robin Thicke tentent de prouver leur innocence. Au tribunal, dans un ultime recours, ce dernier entonne un medley de singles écrits par Bob Marley, U2 et les Beatles pour prouver que des chansons peuvent utiliser les mêmes cordes et les mêmes lignes mélodiques sans forcément se ressembler. L’affaire tombe dans le domaine public : de grands noms tels que Stevie Wonder et Elton John s’en mêlent, prétextant que l’on ne peut pas copier un son, que cela reviendrait à imiter un sentiment ou une sensation.
En vain. Après deux jours de délibération, les jurys ont tranché : oui, les deux chanteurs, qui ont chacun gagné plus de cinq millions de dollars grâce à Blurred Lines, ont bel et bien plagié l’œuvre de Marvin Gaye ; et oui, ils doivent à présent verser 7,4 millions de dollars à ses héritiers.