2023 M12 19
C’est la fin d’une arlésienne qui durait depuis l’été 2022. Elisabeth Borne a intégré à son projet de loi de finances un amendement qui valide le principe d’une taxation des plateformes de streaming musical. Et comme la Première Ministre a utilisé l’article 49.3, le texte a été officiellement adopté.
Qu'est-ce que cela change ? Concrètement, la taxe en question décidée par le gouvernement consistera à prélever 1,2% du chiffre d’affaires des acteurs principaux du streaming musical en France, de Spotify à Deezer en passant par Apple Music et YouTube Music.
Au total, ce prélèvement devrait rapporter de 15 à 20 millions d’euros au CNM, qui en avait désespérément besoin pour boucler son budget 2024 et continuer d’accomplir ses missions en faveur notamment de la diversité musicale française. Et si la croissance du streaming se poursuit en France, la récolte de la taxe augmentera mathématiquement.
L’amendement que j’ai porté avec @jf_husson sur la taxe streaming est repris par le gouvernement. C’est une excellente nouvelle pour la musique et @le_CNM qui se voit doter de moyens autonomes et pérennes. @jpthiellay https://t.co/DK4134wI3h
— Laurent Lafon (@L_Lafon) December 13, 2023
Ce dénouement surprise – car la tendance n’était pas du tout à la taxation – marque la fin d’une lutte acharnée entre opposants et défenseurs d’une taxe streaming, depuis que des députés de gauche de la NUPES ont émis cette idée – initialement rejetée – à l’Assemblée nationale il y a plus d’un an lors des discussions sur le budget 2023. Depuis, un rapport du sénateur Julien Bargeton remis en avril dernier était venu relancer l’idée d’une taxe dans le cadre du financement de la filière musicale française.
La proposition avait les faveurs d’Emmanuel Macron, qui a menacé lors de la dernière Fête de la musique l’ensemble des acteurs de l’industrie musicale de mettre en œuvre la taxe s’ils ne trouvaient pas un accord pour contribuer au financement du CNM. Mais l’idée d’une contribution volontaire d’une quinzaine de millions d’euros des plateformes de streaming n’a pas fait consensus – Amazon brillant par son absence – et le couperet est donc tombé.
À l'image de la politique volontariste de la Corée du Sud qui a fait le succès mondial de la K-Pop, je propose une stratégie offensive, dont @le_CNM sera le fer de lance, pour porter l'exception culturelle de la filière musicale française ! 🇫🇷
— Julien Bargeton (@JulienBargeton) April 20, 2023
Le rapport➡️https://t.co/O7bM7bYjzP pic.twitter.com/5uNdchpBKD
Les opposants à la taxe pouvaient pourtant compter sur le soutien du ministre de l’Économie, évidemment opposé à l’idée d’une nouvelle taxe, mais Bruno Le Maire a visiblement perdu son duel avec la ministre de la Culture Rima Abdul Malak.
Le choix fait par le gouvernement a quoi qu’il en soit le parfum du fameux « en même temps » : la taxe n’est que de 1,2% (contre les 1,75% envisagés initialement), et les plateformes plus modestes comme Qobuz (moins de 20 millions d’euros de chiffre d’affaires) ne seront pas concernées.
Pas de quoi apaiser le courroux de Spotify, dont le directeur général Antoine Monin a sorti le lance-flammes sur France Info, en s’insurgeant contre l’ensemble des taxes françaises, et en proposant même de faire « contribuer l'ensemble de la filière, pas uniquement le streaming. Ça veut dire les ventes de vinyles, les ventes de CD, mais aussi les radios musicales… », omettant de préciser au passage que le marché de la musique physique est aujourd’hui beaucoup moins porteur que Spotify.
« Nous versons 70% de nos revenus aux ayants droit de la musique, vous ajoutez à cela une TVA à 20%, une taxe sur les services numériques à 3%, une taxe sur les services vidéo à 5% et maintenant une taxe streaming à 1,75%. Comment voulez-vous que nous puissions opérer sur un marché comme la France ? Honnêtement, Spotify aura les moyens d'absorber cette taxe, mais Spotify désinvestira la France et investira sur d'autres marchés. La France n'encourage pas l'innovation et l'investissement. [Elle] ne sera plus une priorité pour Spotify. »
Et outre la menace claire qui plane donc sur les investissements de Spotify en France, Antoine Monin a aussi déclaré que "c'est 10% d'augmentation des abonnements qu'il faudrait faire" pour absorber le coût de cette taxe même si Spotify "n'a pas encore pris de décision" sur la question, évoquant aussi la possibilité assez osée de "moins rémunérer les artistes".
Cette problématique est encore plus grande pour Deezer, pénalisé car la taxe streaming ne sera pas progressive comme cela était envisagé, mais surtout parce que le champion français du streaming musical est aussi beaucoup plus dépendant du marché hexagonal que les autres.
Il vient surtout de prendre une décision qui l’empêche d’augmenter à nouveau ses tarifs, comme l’a déclaré son directeur général adjoint Stéphane Rougeot à BFM :
« La difficulté que l'on rencontre, c’est qu'il y a eu une augmentation du prix des forfaits en septembre. Maintenant, nous sommes un euro plus cher que les autres services. »
Plus largement, l’inquiétude de Spotify et Deezer vient aussi du fait que la France est en retard par rapport à ses voisins européens sur le développement de l’abonnement au streaming payant, qui peine de surcroît à trouver son modèle de rentabilité.
Comme le rappelle Antoine Monin, depuis sa création il y a plus de quinze ans, "Spotify a fait des bénéfices pour la première fois au dernier trimestre [65 millions d'euros], mais pour l'instant, nous sommes dans un équilibre financier fragile".
Reste que la création de cette taxe vient corriger une injustice flagrante, puisque seul le spectacle vivant contribuait jusqu’à présent au financement du CNM en compagnie des sociétés de gestion collective comme la Sacem.
Un argument qui ne convainc pas du tout Bertrand Burgalat, le président du SNEP (Syndicat national de l’édition phonographique), qui a dit lui aussi tout le mal qu’il pensait de cette nouvelle taxe, également combattue mordicus par les majors de l’industrie musicale (Universal, Sony, Warner), principales bénéficiaires du streaming, de même que le rap français, qui se sent visé – à tort – par cette mesure depuis qu’elle a été lancée.
Cet impôt prendra à tous les artistes (qu'ils soient populaires ou plus confidentiels) pour donner à quelques-uns, avant de servir dans deux ans à renflouer un secteur en rémission qu'il aura déstabilisé.
— Bertrand Burgalat (@Burgalat_) December 13, 2023
À l’inverse, les indépendants comme l’UFPI (Union des producteurs phonographiques français indépendants), et le SMA (Syndicat des musiques actuelles) ont évidemment salué la création de cette taxe qui permet de préserver la diversité musicale et d’éviter qu’elle ne soit soumise à la seule loi du marché.
Car n’en déplaise à un célèbre journaliste économie qui a raconté n’importe quoi sur le sujet, en France, la culture n’est pas un produit comme les autres. Cela s’appelle l’exception culturelle.
La France va taxer les plateformes de #streaming musical : "In fine, c'est bien sûr le consommateur qui va payer"
— RTL France (@RTLFrance) December 15, 2023
François Lenglet dans #RTLMatin pic.twitter.com/aIgHL1TUZH