Selon ce sénateur, il faut copier la K-pop et BTS pour exporter les artistes français

Dévoilé il y a quelques jours, le rapport du sénateur Julien Bargeton sur "la stratégie de financement de la filière musicale en France" fait beaucoup parler en raison de sa préconisation d’une taxe sur le streaming. Mais sa proposition la plus étonnante, c'est la création d'une "F-Pop" pour rivaliser avec l'industrie musicale coréenne. Une idée de génie, vraiment ?
  • Le succès de la pop en provenance de Corée du Sud n’en finit pas de fasciner les pays occidentaux. C’est ce que l’on se dit à la lecture du rapport du sénateur de Paris Julien Bargeton, remis le 20 avril à la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak.

    Celui-ci fait de "l’export et le développement international des créations françaises" l’une des trois priorités de la filière musicale de notre pays, "dans un contexte de concurrence internationale aiguisée (…) dont le succès récent de la K-Pop, objet d’une politique active de la Corée du Sud, est l’illustration la plus marquante."

    Selon le rapport, une grave menace plane. Au classement des revenus tirés des exportations musicales, "la France se situe désormais à la sixième place (soit un recul d’un rang) derrière les États-Unis, le Japon, la Grande Bretagne, l’Allemagne et la Chine."

    Plus inquiétant encore, "La France devance encore la Corée du sud, mais compte tenu du soutien intense que ce pays procure à la diffusion de la K-Pop dans le monde entier, son rang est certainement menacé si la politique française de soutien à l’export n’est pas redimensionnée et financièrement réarmée."

    Le rapport a raison de le rappeler, le succès de la K-pop n'est pas vraiment le fruit du hasard, mais le résultat d'une politique gouvernementale volontariste, incarnée notamment par la Korea Creative Content Agency (KOCCA), qui fait rayonner la culture sud-coréenne dans le monde entier depuis plus d'une décennie avec un objectif, le "nation branding" :

    « Considérant que la culture est un vecteur d’image important, la K-Pop est devenue une marque nationale (Nation Branding) et un instrument du « Sweet power » pour promouvoir mondialement l’image de la Corée : c’est le premier champ d’intervention cité par la KOCCA. »

    Autrement dit, la Corée du Sud a mis les bouchées doubles pour exporter sa musique, et ça marche : "le chiffre d’affaires à l’export de l’industrie musicale de Corée du Sud a quasiment doublé entre 2015 et 2019 (passant de 381 M$ à 756 M$)."

    De son côté, la musique française n'est pas en reste sur le marché international, puisque le rapport rappelle que "les revenus français à l’export augmentent (+60 % entre 2010 et 2019, à 316 M€)", mais cela ne serait pas suffisant car "leur part dans les revenus mondiaux recule (4,1 % en 2022 contre 5,7 % en 2014)."

    Pourquoi donc ne pas imiter cette stratégie en France ? Sans employer ouvertement le terme de "F-pop", c'est en tout cas ce que semble appeler de ses vœux le rapport sénatorial, pour qui "Les succès certains de la France à l’international (d’Aya Nakamura à Ninho, en passant par David Guetta et toute la « French touch » en électro, ou encore Jean-Michel Jarre, Renaud Capuçon, Ibrahim Maalouf) doivent donc être amplifiés".

    Pour la France comme pour la Corée du Sud avec son "sweet power" (car tout est doux dans la culture sud-coréenne), l'enjeu d'exporter ses artistes n'est bien sûr pas seulement financier. Outre notre relégation dans le classement économique des exports, le rapport s'inquiète en effet de la concurrence vis-à-vis de notre culture :

    « Les objectifs de l’export sont nombreux : économiques d’abord (avec autant de débouchés commerciaux nouveaux), mais également en termes de rayonnement et d’influence, ainsi que, pour les musiques comportant des paroles en français, de francophonie. La vitalité de la musique française à l’international constitue un enjeu de souveraineté qui, au-delà du soft power, doit également permettre de défendre la capacité de la France à ne pas se laisser imposer une hégémonie culturelle par les acteurs dominants internationaux. »

    Pour lutter contre BTS, Black Pink, Twice et les Stray Kids, le rapport propose donc que le CNM (Centre national de la musique) fasse plus que tripler son budget en matière d'export, avec 15-20 M€ par an contre 4,4M€ en 2023.

    Dans l'industrie musicale, cette proposition ne fait pas l'unanimité. En réaction à la publication du rapport, le puissant SNEP (Syndicat national de l'édition phonographique) a publié un communiqué où il ne fait pas que critiquer l'idée d'une taxe sur le streaming, mais semble aussi moquer l'autre proposition phare du sénateur :

    « Les propositions du sénateur nuisent à la diversité musicale, allant jusqu’à proposer une pop d’État, à l’image de la K-pop en Corée du Sud, au détriment des courants les plus populaires aujourd’hui tels que le rap, et des esthétiques les plus fragiles. »

    Le SNEP touche du doigt une vraie question dans un pays très attaché à son exception culturelle : faut-il favoriser économiquement des artistes populaires qui s'exportent déjà très bien à l'international au détriment du développement de genres aujourd'hui plus confidentiels ou qui ne s'exportent pas aussi aisément à l'étranger ?

    Pour le rapport, la question ne se pose pas, puisqu'il affirme que "dans une économie du streaming où la diffusion est d’emblée mondiale, tous les genres sont susceptibles de trouver et cibler un public, et doivent donc être accompagnés". Une vision peut-être un brin optimiste, dont on ne sait pas encore si elle est partagée par le ministère de la Culture. En attendant de connaître la réponse, on souhaite bon courage aux artistes français pour rivaliser avec le succès de la K-pop.

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