TikTok est-il en train de tuer le clip musical ?

Moyen traditionnellement incontournable pour un groupe de faire la promo de sa musique, le clip est confronté à la concurrence féroce des vidéos verticales et virales du réseau social chinois. Au point de disparaître définitivement ? Pas sûr : le clip musical est un coriace qui en a vu d’autres.
  • C’est une folie comme seul le plus grand groupe de rock encore vivant peut se le permettre. Le 6 septembre dernier, les Rolling Stones ont présenté au monde leur nouveau morceau (Angry) avec un clip où le budget ne devait pas être un sujet.

    Le groupe s’est en effet offert les services de la nouvelle star hollywoodienne la plus demandée du moment, Sydney Sweeney (Euphoria, The White Lotus) pour la faire danser dans une combinaison échancrée en cuir noir sur une décapotable Mercedes vintage (imaginaire tout droit sorti d'un documentaire sur la vie de Mötley Crüe), le tout au milieu du Sunset Strip de Los Angeles avec une escorte policière en plein jour.

    Ce n’est pas tout : le réalisateur français François Rousselet a raconté avoir personnalisé des dizaines et des dizaines de billboards – panneaux publicitaires géants emblématiques de la célèbre avenue et utilisés par les rockstars jusqu’à Daft Punk – aux couleurs du groupe, avant de les animer avec un demi-siècle d’archives vidéo des Stones à peu près synchronisées avec la musique.

    Evidemment, il a aussi tourné en pellicule 35 mm malgré le coût et le temps réduit dont il disposait pour le montage, tout simplement parce que cela rend mieux sous le soleil de Californie.

    Bref, c’est une affaire à sept chiffres dont on ignore le montant, mais dont les Stones sont coutumiers : en 2016, c’est une Kristen Stewart en pleine gloire qui se retrouvait à écouter leur morceau Ride 'Em On Down au volant d’une Ford Mustang 1965, sur la mythique Los Angeles River arpentée par Ryan Gosling dans le film Drive.

    Mais comme les Rolling Stones eux-mêmes, cet art ancien du clip vidéo est aujourd’hui menacé de disparition. La raison ? À moins de s’appeler Mick Jagger, les artistes le délaissent de plus en plus parce qu’il est de moins en moins rentable.

    Comme le dit crument un expert du sujet dans Billboard : « le seul problème des clips, c’est que personne ne les regarde. À part ça, c’est génial. » Dans la bataille de l’économie de l’attention, on sait que les vidéos de quelques secondes de TikTok l’emportent largement face à des clips de plusieurs minutes sur YouTube.

    Pour les artistes émergents, le réseau social chinois présente aussi l’avantage de permettre à presque n’importe qui d’exploser avec une vidéo virale, même sans avoir beaucoup de followers. À l’inverse, il est quasiment impossible pour ces artistes de percer avec un clip sur la plateforme de Google, à moins de payer pour obtenir de la visibilité.

    Pour ne rien arranger, depuis que YouTube a introduit les « Shorts » afin de concurrencer les vidéos verticales de TikTok, on constate souvent qu’il vaut mieux couper un clip en morceaux si on veut faire des millions de vues et pas seulement des milliers comme avec la vidéo complète.

    Le calcul économique est donc vite fait. Non seulement un clip vidéo coûte plus cher à produire que plusieurs vidéos TikTok, mais il faut aussi ajouter un budget publicité pour le montrer. Résultat, même les artistes avec de gros moyens préfèrent prendre du temps pour abreuver leurs followers de vidéos TikTok afin de capter leur attention sur la durée.

    C’est le cas de Beyoncé, autrefois ardente défenseuse du clip vidéo – son album visuel a 10 ans cette année –, mais qui n’a toujours pas publié le moindre clip pour accompagner son album sorti l’an dernier, "Renaissance". À la place, elle a commencé à poster des vidéos sur TikTok pour en faire la promo.

    On le sait aussi, la plateforme chinoise capte mieux qu’aucune autre l’audience la plus jeune si convoitée par l’industrie musicale. Et sur TikTok, il n’est pas nécessaire pour un artiste de se donner autant de mal que pour un clip des Rolling Stones, quand bien même il en aurait les moyens.

    La priorité est d’apparaître naturel et de s’adresser à son public depuis son quotidien voire son intimité avec une vidéo enregistrée par exemple à l’improviste dans la salle de bain, pourquoi pas en évoquant des problèmes personnels, comme l’a fait Ariana Grande avec le bodyshaming.

    Problème : ces exigences ne conviennent pas à tous les artistes. L’an dernier, des stars comme Halsey, Florence Welch, Ed Sheeran, Charli XCX et FKA Twigs ont publiquement critiqué cette demande des labels de poster plusieurs vidéos par jour sur TikTok, ce qui alimente la guerre de l’attention et augmente les burnouts d’artistes souvent déjà pas épargnés par le planning des tournées. Paradoxalement, tourner un clip pourrait presque redevenir une option plus reposante.

    Mais dans un monde où l’image est partout, il faut dire aussi que le clip n’est plus nécessaire pour développer celle de l’artiste et son univers. Inutile de préciser que nous avons changé d’époque par rapport au début des années 1980 et à la révolution MTV, où David Bowie et Michael Jackson matraquaient les esprits avec les clips chiadés de Thriller et Let’s Dance, pensés comme de vrais films et qui contribuaient grandement à leur notoriété.

    Enfin et c'est le plus important, le clip a déjà été donné pour mort quand Internet a fait irruption et que MTV a décidé de s’intéresser davantage à la téléréalité qu’à la musique.

    Finalement, la naissance de YouTube en 2005 a tout changé, et le deuxième site le plus visité au monde l’est sans doute beaucoup en raison des clips qu’il contient. Reste à espérer que les Rolling Stones ne seront pas le dernier groupe à en uploader de nouveaux. Mais avec 13 millions de vues en 5 jours, il reste encore sûrement des adeptes.

    A lire aussi