Les meilleurs albums rap de l'année de Jack

Il y a quelque chose de beau à voir qu'une grande partie du rap français s'est réunie cette année sur le « Classico Organisé ». À l'heure des bilans, c'est tout aussi fascinant de poser un regard sur ces douze derniers mois et de constater que le rap francophone a produit un sacré nombre d’excellents albums, qui incitent foncièrement à la réécoute et se démarquent illico de la concurrence.
  • Lala &ce - « Everything Tasteful »

    Après plusieurs EP’s fort séduisants et des accointances avec de fines gâchettes du rap français (le crew 667) ou d'une musique qui ne dit pas encore son nom (Bamao Yendé, Le Diouck), le monde de Lala &ce a fini de totalement basculer en début d’année avec « Everything Tasteful » : un premier véritable album rempli à ras bord d'idées novatrices malgré des thématiques peu variées. Car, si ces quinze morceaux parlent souvent de sexe, avec X majuscule, il n'y a finalement que peu de liens entre le planant Sous tes lèvres, le dodelinant Show Me Love ou Parapluie et sa mélodie entrainante. Peu d’intentions similaires, donc, si ce n’est cette voix, souvent autotunée, parfois nerveuse ou lancinante, mais toujours séduisante.

    SCH - « JVLIVS II »

    Dans le clip de Marché noir, on voit un malfrat de retour dans sa ville natale bien décidé à reprendre ce qui lui est dû. Tout le délire mafieux de « JVLIVS II », second volet d'une trilogie en construction, est alors posé : l'ambiance est lourde, le propos est grave, tandis que les rimes se veulent narratives, ponctuées par des interludes écrites par Furax Barbarossa et contées par la doublure française d'Al Pacino.

    Pour donner vie à toutes ses idées, entre storytelling obscurs et mélodies ensoleillées (Mode Akimbo), SCH peut une nouvelle fois compter sur ses proches collaborateurs (Katrina Squad, Enigma Beats, BBP ou encore Twenty9), dont la richesse des arrangements (tantôt rock, tantôt électroniques) et le goût pour les productions changeantes trahissent une liberté créative assez folle. Celle d'un rappeur en pleine possession de ses moyens et visiblement très à l’aise au sein de cet univers crapuleux.

    Tedax Max - « Forme Olympique »

    Tedax Max est visiblement de ces rappeurs qui analysent l'agencement des mots, leur rythmique, l'agressivité de certaines phrases, la virulence des réflexions, le choc dans le chaos des consonnes qui se confrontent. Une vraie science de l'écriture, mais pas forcément celle que l'on apprend à l'école : à la manière de Benjamin Epps, auteur lui aussi d'un excellent disque cette année (« Fantôme avec chauffeur »), le rappeur lyonnais doit beaucoup au boom-bap, à une scène new-yorkaise qui n'aurait jamais tendu l’oreille à Young Thug ou Pop Smoke. Conclusion : « Forme olympique » est l’album d’un kickeur, humble et affamé.

    Souffrance - « Tranche de vie »

    « Des textes crus empreints de vérité ». Voilà ce que propose le rappeur de Montreuil avec « Tranche de vie », un disque qui, s'il ne révolutionne rien sur la forme, s'inscrivant d'office dans une tradition du 16-mesure technique et mélancolique, séduit par son propos, lourd de sens et finalement logique : présent dans l'ombre depuis 2007 au sein de L'Uzine, Souffrance a suffisamment vécu pour se forger une vision singulière, assumer ses goûts au moment de composer ses instrus (cf le sample de Patrick Watson sur Simba) et revendiquer fièrement sa vie, sans jamais surjouer la réussite outrancière (« J'leur montrerais c'est qui le boss quand j'aurais couché ma p'tite »).

    Damso - « QALF infinity »

    Parce que l’on en a déjà longuement parlé ici, et parce qu’on a la volonté de se limiter à 10 albums, deux disques issus de la scène belge (« Jeu de couleurs » de Frenetik et « 140 BPM 2 » de Hamza) ont été volontairement écartés du classement. D’autant que « QALF Infinity » est trop imposant, trop ambitieux, trop obsédant pour ne pas figurer dans cet article.

    Plus qu’une simple réédition censée rebooster les ventes de « QALF », sorti en septembre 2020, ce disque vient au contraire en prolonger les obsessions, porté par des productions nerveuses et d'autres plus orchestrés. On y retrouve toujours cet amour pour la sainte trinité argent-weed-bitch, mais c'est surtout la face b de la célébrité (« La vie de star est un milieu carcéral de luxe ») qui guide ces onze nouveaux morceaux. Pour un résultat ô combien impressionnant.

    Sameer Ahmad - « Effendi »

    « Fragile est l’homme, agile est le flow » : voilà l’une des nombreuses façons possibles de définir Sameer Ahmad, auteur début décembre d’un cinquième album aussi pointu (dans ses références, dans sa façon d’agencer les mots et dans ses lyrics, très imagés) qu’accessible. Nul besoin en effet de connaître tous les films, acteurs ou morceaux citer par le Montpelliérain pour apprécier pleinement « Effendi » : il suffit de se laisser porter par ces chansons brillantes et par cette voix charismatique qui leur permet d’exister. « J’ride sur c't'instru' et qui s'en plaindrait ? ». Personne, Sameer, absolument personne !

    Laylow - « L’étrange histoire de Mr. Anderson »

    Chaque projet de Laylow peut être vu comme une nouvelle technologie qui atteindrait à chaque mise à jour des degrés inédits de sophistication créative. Après les délires bioniques de « Trinity », le rappeur toulousain est allé encore plus loin avec son deuxième album où, paradoxalement, il regarde pour la première fois vers le passé. Annoncé via un court-métrage inspiré par Tim Burton, « L’étrange histoire de Mr. Anderson » détaille en effet les premiers pas de Laylow, tous ces moments où il tâtonnait, où personne ne croyait en lui, où il était sans doute trop « spécial » pour un rap français pas encore vraiment prêt à l’accueillir.

    Désormais, tout a changé : il peut non seulement se permettre d’inviter tout le gratin du rap actuel (Nekfeu, Damso, Hamza, etc.) sur des albums concepts, mais aussi de remplir deux AccorHotels Arena en à peine quelques heures.

    Orelsan - « Civilisation »

    Le succès, Orelsan en a également donné une sacrée définition avec la sortie de « Civilisation », son quatrième album solo. Les statistiques sont folles - seul Ninho semble en mesure de potentiellement le concurrencer sur ce plan -, mais ces quinze nouvelles chansons méritent bien plus que de simples chiffres. Des brûlots incendiaires (L'odeur de l'essence), un morceau-fleuve au verbe aussi narratif et précis qu'un texte de Virginie Despentes (Manifeste), un clin d'œil à Kanye West (Rêve mieux), une comptine que rêveraient de composer Bigflo & Oli (La quête), un duo avec les Neptunes et une flopée de tubes aussi obsédants que foncièrement bien écrits/produits : « Civilisation », à coup sûr, a été pensé pour marquer son époque.

    Edge - « Offshore »

    Il serait tentant de limiter « Offshore » à son principal single, 20.000, où Edge a l'intelligence de ramener l'« instru découpeur » Alpha Wann sur une prod 2-Step. Sauf que ce premier album contient bien d’autres moments forts, confirmant que le Parisien a bien plus à apporter que tous ces passages chantés sur l’album « Private Club », sorti plus tôt cette année aux côtés de Jazzy Bazz et Esso Luxueux. Soigné, intelligemment articulé, très varié dans son interprétation, rempli de moments où Edge regarde la vie avec un pessimisme tenace (Des nuages à la terre) : de bout en bout, « Offshore » aide à mieux saisir pourquoi le rappeur figure au milieu d’autres rookies (Khali, La Fève, So La Lune, etc.) à suivre de très près ces prochaines années.

    Dinos - « Stamina, Memento »

    Fin 2020, Dinos bouscule le classement des différents bilans de fin d’année établis par les médias avec « Stamina ». Qulques mois plus tard, le rappeur de La Courneuve prolonge le projet avec « Stamina, Memento », soit douze titres supplémentaires enregistrés autour d’une équipe resserrée (Ken & Ryu, Damso, Benjamin Epps, Charlotte Cardin), et obsédée à l'idée d'offrir le meilleur écrin aux rimes de Dinos, de celles qui documentent l'intime. Avec, toujours, cette forme de pudeur qui se distingue sans pour autant parvenir à masquer ce qui sous-tend sa discographie : une recherche permanente d’émotions, quitte à flirter par instants avec l'indicible (« Tellement torturé, si j’meurs, j’veux même pas reposé en paix ») ou le meurtri.