2021 M03 19
« Génie ». Ce mot galvaudé, éculé, dépouillé de son sens originel à force d'utilisation abusive, retrouve tout son éclat et toute sa signification lorsqu’on évoque le cas de SCH. Non pas parce que le rappeur d'Aubagne serait né avec un don supérieur au commun des mortels. Mais parce qu’il se donne les moyens depuis plus de six ans de tutoyer l’excellence, témoignant à chaque projet d’une exigence rare dans les placements de voix, la trame narrative et le choix des productions – traditionnellement orchestrées avec intelligece et maîtrise par Katrina Squad.
En vérité, le « S » a pris une telle dimension ces dernières années que la sortie « JVLIVS II » ne peut être considérée que comme un événement au sein du paysage (rapologique) français. Tout est là : les invités (JUL, Freeze Corleone et même Le Rat Luciano, légendaire rappeur de la FF), les producteurs (Katrina Squad, donc, mais aussi Meryl, Sofiane Pamart, Heezy Lee ou Twenty9), l’amour de la rime ciselée et la diffusion d’un documentaire en lien avec le disque.
Sur le papier, « JVLIVS II » a donc tout d'un blockbuster : les moyens promotionnels, le casting, l'attente, les orchestrations de cordes ou même le décor, situé enre Gibraltar, Marseille et l'Italie. À ce titre, on serait presque tenté de l'envisager comme une version gangstérisée de Last Action Hero, ne serait-ce que par SCH profite de ce projet pour prolonger le concept développé en 2018 et plonger dans ses classiques cinématographiques, devenant à son tour le véritable héros d’un monde cafardeux, nourri d'histoires mafieuses où les rues ont vu « semer le plomb et la mort » - des mots posés en introduction de « JVLIVS ».
Trois ans après, SCH confirme ainsi qu’il n'a pas son pareil pour développer un rap romanesque, qui raconte la part d'ombre des hommes assoifés de sang et de rédemption : leurs failles, leurs maux de cœur, leurs craintes du jugement dernier, tous ces symptômes d'une vie passée en marge de la légalité. Avec, toujours, la voix de José Luccioni (doubleur d’Al Pacino) pour créer du lien entre les morceaux.
En filigrane, « JVLIVS II » souligne deux vérités actuelles : la bonne santé du rap marseillais, effective depuis quelques années mais toujours plus éclatante depuis la sortie de « 13 organisé », projet au sein duquel brillait un SCH plus joueur que jamais ; le retour de toute une génération d’artistes vers une forme purement rap, dépourvue de velléités pop. Ici, cela se vérifie à chaque morceau, du single envoyé en éclaireur (Marché noir) au piano-voix Parano, en passant par tous ces moments où l'intéressé traque la poésie dans des ambiances sombres, ouvertement cinématographiques.
Il y a bien quelques mélodies plus lumineuses (Plus rien à se dire, Mode Akimbo), parfois plus rock (Crack), rappelant que « JVLIVS II » reste une œuvre musicale et n'a aucunement l'intention d'enfermer l'auditeur dans un concept trop lourd à digérer, mais celles-ci ne semblent être qu’une nouvelle astuce trouvée par SCH pour feinter l’optimisme. C'est que les jours heureux sont rares pour ceux qui, à l'instar du personnage de Julius (sorte d’alter-ego fantasmé du rappeur), ont « embrassé le plomb trop jeune », dans ces endroits « où la violence est la réponse ».
Les références sont évidemment à chercher du côté de Frank Lucas, Scorsese ou Don Vito Corleone (incarné par De Niro dans Le Parrain), toutes ces histoires où les héros, à force de trafic et de règlements de compte, meurent à la fin. Histoire de rappeler le destin funeste auquel semble être promis à Julius ? Réponse au troisième tome, d'ores et déjà envisagé par SCH.
Crédits photo : Fifou.