Les frères maudits du rock : Oasis, ou la chute du "wonderwall "

Etre frère, en musique, c'est un peu pour le meilleur et pour le pire. Et qui de mieux que les frères Gallagher pour illustrer ce qu'on appelle depuis 2009 le "syndrome Oasis" ? Réponse avec Liam et Noel, ou comment des années de rancoeur ont fini par transformer Rock en Seine en scène de ménage, un peu rock.
  • Dans la Bible, il est raconté comment se sont déchirés Abel et Caïn, les deux fils aînés d’Adam et Ève. Un récit millénaire avec en toile de fond cette idée de combat entre les vices et les vertus. Si l’un et l’autre devaient avoir une réincarnation contemporaine, leurs âmes respectives se seraient sans doute retrouvées dans les enveloppes charnelles des frères Gallagher. Car dans l’histoire du rock, ce duel quasi fratricide reste encore aujourd’hui le plus marquant, le plus sensationnel. Après des années de lutte acharnée, le couperet est tombé au pied d’une scène, un soir d’été 2009. Clap de fin approprié, puisque c’est sur les planches que les deux hommes ont donné le meilleur d’eux-mêmes. Et surtout le pire.

    Plus que d’être le chouchou de la presse à scandale, Oasis est surtout et avant tout un groupe mythique. Véritables instigateurs de cette scène musicale Britpop avec leur premier album, « Definitely Maybe » (1994), les Mancuniens auront su incarner ces chefs de files charismatiques dont le genre avait cruellement besoin. Propulsés au rang de rockstars en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, ces deux authentiques lads, avec presque chacun de leurs disques, ont entériné leur légende bien au-delà des frontières des générations et des genres. « (What’s The Story) Morning Glory ? » (1995) sacré « meilleur album des 30 dernières années » aux Brit Awards de 2010, « Be Here Now » (1997) et ses 500 000 copies écoulées en une semaine — ainsi que sa pochette à 90 000 €… Ca, c’est pour le côté magnifique du récit.

    L’autre face est plus tragique. Quand Liam est né en 1972, Noel avait 5 ans. La famille Gallagher habite à cette époque dans un quartier pauvre et triste de Manchester. Leur père Thomas alias Tommy, est un alcoolique fini qui ne se retient pas de frapper les deux grands frères. Noel donc, mais aussi Paul. Vu que c’est encore un bébé, Liam n’endosse pas ce rôle de martyr. Et tout part de là. Peggy, leur mère, les protège du paternel en déménageant dans le dos de ce dernier, trop ivre pour s’en rendre compte. Ils atterrissent alors dans une autre banlieue lointaine de la ville.

    Dans leur nouveau domicile, les futures stars du rock sont obligées de partager une chambre. Chambre des secrets, puisqu’ils ne se parlent presque pas. Puis, leurs natures sont relativement différentes aussi. L’aîné est taiseux et le cadet, sanguin, veut perpétuellement qu’on s’intéresse à lui. À l’adolescence, à leur façon, ils s’enfoncent dans les affres de ce Madchester devenu si culte et bâtissent leur culture musicale. Pendant que Noel s’immerge avec effort dans le milieu rock à coups de guitare, Liam flâne et se fait remarquer en chantant comme personne. Sa voix de canaille est une sorte de cadeau du ciel. Avant même de jouer ensemble, la fracture entre les deux est déjà impressionnante.

    Lorsque The Rain (groupe où officie déjà Liam) devient Oasis en 1991, après que Noel a été propulsé songwritter attitré puis leader naturel, les soucis arrivent d’emblée. Dès leur première scène en 1992, les deux terribles se battent sur les planches. Et ce n’est qu’un début. Leur premier album « Definitely Maybe » (1994) est à peine couronné de succès que l’aîné veut déjà tout plaquer. La raison s’appelle Liam Gallagher. Tel un archange de la destruction, drogué et bourré jusqu’à la moelle, il embrasse goulûment les facéties de cette vie de rockstar.

    De là, les frasques du cadet seront toujours plus nombreuses. Petit florilège.

    Leur première date à l’étranger se passe à Amsterdam et, à peine arrivé, le chanteur doit faire le chemin inverse. Il aurait provoqué une rixe avec des supporters d’un club de foot ennemi (West Ham) à son Manchester City chéri. A part ça, on le surprend aussi en train de cogner des journalistes ou de se faire passer à tabac par des joueurs de rugby. Et quand Oasis débarque à Paris, Liam castagne leur batteur qui quittera la formation dans la foulée. Bref, Noel n’en peut plus et lui reproche de flinguer l’image du groupe. En lame de fond, il y a aussi de la jalousie : entendre que son frère est meilleur chanteur lui sort par les trous de nez – d’autant plus qu’il est LA star de Don't Look Back in Anger, l'un des plus gros tubes des Mancuniens.

    Avec leur deuxième disque, « (What’s The Story) Morning Glory ? » (1995), la tension monte encore d’un cran. La renommée comme la haine. La légende raconte que Liam se serait fait chasser du studio à coups de crosse de cricket par son aîné, qui commence lui aussi à voir rouge comme son frère. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il sait également déchaîner les passions. Par exemple en souhaitant à Damon Albarn, leader du groupe rival Blur, de « choper le sida » et d’en « crever ». Dans ce contexte, l’enregistrement de « Be Here Now » (1997) est hyper tendu. Mais, outre les embrouilles devenues habituelles — notamment à ce concert —, la machine continue de tourner.

    Au début des années 2000, alors que l’Oasis mania s’estompe doucement, mais sûrement, Noel, désormais père de famille, décide de radicalement changer. Même s’il stoppe net les excès, son benjamin n’arrête pas ses frasques. Deux événements particuliers provoqueront la fin programmée de 2009. D’abord, un show à Barcelone pendant lequel Liam aurait laissé sous-entendre que la fille de son frère ne l’était pas vraiment. Puis, il y a cette interview accordée au magazine Q, et dans laquelle Noel a prononcé cette phrase tristement célèbre :

    « Il est grossier, arrogant, intimidant et paresseux. C’est l’homme le plus en colère que vous pouvez rencontrer. Il est comme un homme avec une fourchette dans un monde de soupe. »

    Enfin, arrive fatalement ce 28 août 2009, soir de ce fameux concert à Rock en Seine. Après que Liam ait atteri à Paris, une fois encore totalement cuit, Noel est encore une fois fou furieux. Une habituelle engueulade éclate, mais cette fois… le benjamin dépasse les bornes. Il chope la Gibson es 335 de son frère et la fracasse sur le sol. L’aîné quitte les lieux, encore une fois, mais cette fois… il ne reviendra pas. Le rideau tombe définitivement.

    Beaucoup de choses ont été racontées sur les raisons qui ont provoqué cette rixe entre les deux Gallagher. Si certains avancent que le motif de la dispute était la marque de vêtements de Liam, Pretty Green, pour laquelle il aurait voulu faire de la publicité pendant la tournée, ce n’est pas vrai selon l’artiste, comme il le racontait chez Brut, dix ans ans plus tard. Quoi qu’il en soit, avant leur carrière solo, les deux frères seront célébrés ensemble une dernière fois, lors de la cérémonie des Brit Awards, en 2010. Ce qui donnera lieu à une scène dont Liam a le secret.

    Et depuis ? Tout le monde attend cette hypothétique reformation, et c'est un peu comme espérer bronzer à Manchester un 25 décembrE.

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