Ces 10 artistes prouvent que non, le rap français c'était pas mieux avant

La France ne manque pas de gamins capables d’envisager le futur du rap. Tous n'en sont pas au même stade dans leur parcours, tous ne bénéficient pas d’un même soutien médiatique, mais tous ont en commun de vouloir imposer un style à part entière, une écriture semblable à aucune autre. On se charge des présentations.
  • Selug

    Une alchimie avec le beatmaker $enar qui rappelle celle de La Fève et Kosei, une pochette qui prend la forme d’une peinture morbide, un va-et-vient constant entre le bien et le mal, des productions qui empruntent leur grammaire aux musiques électroniques : on ne sait pas trop quoi faire de toutes ces informations, mais on se dit naïvement qu’elles doivent bien refléter le geste artistique, très libre, très classe, défendu par Selug sur son dernier EP, « Éternel retour ».

    The Free

    Sur son compte Twitter, The Free prétend être un « rimeur compulsif ». C’est joliment dit, c’est assez vrai, mais ça ne nous en apprend pas forcément plus sur l’ex-membre de Stamina. Pour cela, le mieux est encore d’aller écouter « Filamants bleus », un premier album où le rappeur d’Orléans raconte son amertume quotidienne, son Été sur la brèche et toutes ces peines que rien ne soulage (Là-haut, dédié à sa mère décédée). Mais derrière cette écriture, ciselée et touchante, le plus impressionnant reste peut-être cette voix, dont le grain fascine, avec juste ce qu’il faut de tragique pour incarner pleinement ce rap ouvertement désenchanté.

    Asinine

    Du digicore, des textes à faire passer J. D. Salinger pour un optimiste(« Le sablier fuit tellement j'ai le cœur en décembre, le cendrier déborde, le temps prend les rêves et les démembre »), une voix frêle mais saisissante, des productions envoûtantes : en quatre informations, toute la folie d’Asinine est posée. Sauf que la Marseillaise ne se limite pas à ces quelques caractéristiques, et ose même un tube : On voit que moi dans la city.

    On aurait aimé que ce single lui permette d’envisager l’avenir avec sérénité, mais il faut croire que non : à l’écoute de « XIII », son récent trois-titres, sorti fin février, Asinine est une artiste qui répand du sel sur ses balafres, écrit des « bails qui rendent malades » et rappe la mine basse sur des prods techno. Avec, toutefois, cette volonté de rassurer l'auditeur quant à son état : « T'inquiète pas pour moi, j'pleure sur mes propres épaules ».

    TIF

    Ses mélodies rappellent les musiques populaires du Maghreb, son flow est chantonné, ses projets sont publiés sur le label qu’il a co-fondé avec Younès (acteur principal du clip HINATA) , ses refrains prônent autant l'enjaillement que la nostalgie, mais l'ambition de TIF avec son nouvel EP (« 1.6 ») reste finalement la même que celle de n'importe quel artiste débitant ses rimes dans le sous-sol d’un immeuble mal éclairé : « J'traîne plus avec c'fils de tains-p', j'suis plus hashich que pinte/Pas sûr que l'on vive demain, faut cer-per avant l'générique de fin ».

    Oumar

    Au Havre, ça rappe aussi. Et, on peut le dire, ça rappe même plutôt très bien. Sinon, comment expliquer qu’Oumar ait pu se frotter en freestyle à quelques fines plumes de l’Hexagone : Souffrance, Tedax Max, Ben PLG ou encore Médine, qui est allé jusqu'à signer le rappeur du Bois de Bléville sur son label (Din Records). Pas sûr que « Trauma saison 3 » lui assure une place en festival, ces évènements où on voit des punks à chien danser sur du -M-, mais ce nouvel EP donne en tout cas de sacrées bonnes raisons de croire en l’avenir de son univers, brut, technique, sombre, et résumé en une formule clinquante : « Une rose sur un tas de merde ». C'est lui qui le dit, pas nous.

    J9ueve

    « J'fais du son pour moi, pour les miens ». Le propos tenu par J9ueve sur Les serpents ne se démarque pas vraiment du tout-venant rap historique : rapper c'est un moyen d’exister, une manière de représenter. Le Parisien sait toutefois se faire plus surprenant (et donc plus intéressant !) sur des morceaux ouvertement mélancoliques, où les sentiments sont tantôt noyés sous des couches d’autotune, tantôt contrastés par des productions clubbesques, connectées à la jersey club.

    « Le bijou le plus brillant », dit son premier projet : on ne sait pas encore si J9ueve peut faire de l’ombre à ses pairs (Luther, NeS, Yvnnis, Rounhaa), mais il fait indéniablement partie de ces artistes capables d’amener le rap vers davantage de musicalité. Ici, des synthés, là un solo de saxo et, en bout de course, un univers qui réunit plus de 400 000 auditeurs par mois sur Spotify.

    Ucyll & Ryo

    Avec ses mélodies héritées de l'hyperpop, ses textes rongés par la paranoïa ou ses refrains aussi éprouvants qu'addictifs, Ucyll & Ryo a immédiatement gagné ses ronds de serviette à la table de BabySolo33 (avec qui il partage le même label, Jeune à Jamais), de Winnterzuko, de H Jeune Crack et de toute cette génération de rappeurs prêts à chicotter les genres (digicore, drum'n'bass, ambient…) sans aucun complexe. « Bouche cousue », dit l'un des morceaux du nouvel album (« la peau des yeux ») : c'est évidemment hors de question. Ucyll & Ryo est un duo dont il faut révéler l'existence, hurler le nom haut et fort.

    Jeune Lennon

    À l'évidence, il faut un certain culot pour adopter un tel pseudo : simple délire égocentrique ou réelle volonté de s'inscrire dans les pas de l'ex-Beatles ? Faut-il voir en Jeune Lennon un « beautiful boy » ou le considérer comme un « working class hero » ? Ni l’un, ni l’autre : au petit jeu des comparaisons, le rappeur-beatmaker serait plutôt un Oiseau noir, cet être extrêmement futé, porteur de mauvaises nouvelles, mais dont l’aura mystérieuse sied parfaitement à cette musique à écouter lorsque le doute et la morosité s'installent. 

    Damlif

    Damlif n'a que quelques projets à son actif, ses influences vont de Connan Mockasin ou Blood Orange à Rejjie Snow et Renaud, ses textes semblent avoir été écrits sous la lumière d'un néon pâle, tandis que son flow brouille intelligemment la frontière entre rap et chant. Traduction : le membre de la 75e Session (Népal, Sheldon), dont le nouveau projet arrive le 14 avril (« Maison à l’aide »), est un artiste qui se méfie des étiquettes faciles. Et c’est bien là le principal, non ?

    Keroué

    Il faut une certaine détermination pour continuer à rapper depuis plus de dix ans dans l’ombre de Lomepal, Nekfeu et de tous ses potes qui ont entretemps changer de dimension. Il faut surtout un sacré talent pour dévoiler un EP (« CANDELA ») qui ne ressemble en rien à ce que proposent ses proches. D'autant que ce parti-pris, salutaire, n’empêche pas Keroué de s’orienter lui aussi vers un rap technique, caractérisé par des textes intimes, balancés avec sincérité. Sans esbroufe, ni surenchère, donc.

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