Que penser d'« Adios Bahamas », l'ultime album de Népal ?

Des morceaux enregistrés en famille (Nekfeu, Doums, Di-Meh...), des beats qui préfèrent la sobriété à la démesure, des élans de lucidité qui ridiculisent illico les faiseurs et les poseurs : « Adios Bahamas » soigne le départ du rappeur de la 75e Session, disparu il y a un mois et demi.

En finesse. S’intéresser à l’album d’un artiste récemment disparu, encore plus au sein d’une époque où règne le politiquement correct, c'est un exercice risqué. C’est se dire qu’on n’a pas vraiment le choix de le trouver autrement que génial. Or, on comprendrait très bien que certains trouvent « Adios Bahamas » un poil trop ennuyeux, un peu trop raide dans la forme. On peut aussi, et ce serait sans doute plus juste, considérer que Népal a réussi ici à capter l’essence du dépouillement, l’art du beat minimal, lent et nuancé, mais qui frappe juste, sans démesure ni fioritures.

Amoureux du verbe. Pour qui a déjà tendu une oreille aux précédents projets du rappeur parisien (« 16x16 », « 444 Nuits », « 445e Nuit », « KKSHISENSE8 »), « Adios Bahamas » n’a sans doute rien de réellement surprenant, si ce n’est un flow parfois plus chantonné (Là-bas). Le propos et l'interprétation, toujours bien sentie, presque murmurée, s’inscrivent quant à eux dans une esthétique bien définie. Celle d'un homme de l'ombre, d'un acrobate du verbe obnubilé par le beau geste et les éclatants contrastes (« Le matin, j'me réveille comme un millionnaire / Le soir, j'm'endors en fœtus comme un toxicoman »), d'un rappeur qui préférait sonder ses failles intimes plutôt que de se lancer dans de grandes leçons moralisatrices ou tomber dans la vantardise un peu vaine. « C'est dangereux si tu ne te fies plus qu'aux vues », rappe-t-il en conclusion d'Ennemis pt.2, un titre partagé avec Di-Meh.

Mélancolique anonyme. Le rappeur suisse n’est pas le seul invité d’« Adios Bahamas ». Au tracklisting, on trouve aussi Nekfeu, Sheldon, Doums, Hugz Hefner et même Diabi à la production de deux morceaux : En face et Sundance, l’un des temps forts de ce premier album. Celui d'un « humain bloqué dans la masse d'air » qui, en douze titres, ne cesse de raconter le sinistre de notre époque, d’envisager la vie comme un traquenard.

Au point de parler d’« Adios Bahamas » comme d’un disque plombant ? Pas du tout : Népal reste avant tout un adepte de la sobriété, un amoureux de la rime qui percute, touchante car poétique, mélancolique et stylisée. Ça en est même à se demander comment un spleen visiblement aussi pesant peut devenir pour l'auditeur une telle source de bonheur.