2022 M05 12
Après trois projets produits en totale indépendance, le monde de Rounhaa a peut-être définitivement basculé en début d'année, au moment de rejoindre Sublime, le tout jeune label fondé par Disiz. En plus d'une structure qui souhaite être un « foyer créatif », nul doute qu’il trouve ici des spots à même de mettre en lumière son univers, tout aussi libre que celui de l'auteur de « Poisson rouge » mais foncièrement animé par d'autres obsessions. Tout l'enjeu à présent est de le prouver, de ne pas devenir le petit Disiz en quelque sorte.
Pour cela, le rappeur franco-suisse a un tas d'arguments à faire valoir. À commencer par ses propres références, puisées dans le répertoire de Tyler, The Creator, Laylow et Makala : trois artistes peu concernés par les dernières tendances, davantage soucieux d'expérimenter la forme rap plutôt que de faire corps avec des esthétiques bien définies.
À 22 ans, Rounhaa est également un artiste de son époque. On le sait proche des beatmakers LUCASV (Disiz, Rohff, Sally) et Kosei (Khali, La Fève), on le voit collaborer avec des rappeurs tels que Gio ou J9EUVE, on l’entend varier les interprétations, tour à tour rugueuses et chantonnées, mélancoliques ou tout simplement héritières du DMV Flow - cette façon de rapper hors-temps, caractéristique de ceux que l'on a fini par considérer comme la nouvelle vague du rap français (Jwles, 99, Sonbest, 8ruki).
Par instants, Rounhaa s'autorise même le murmure, d’une voix où la lassitude ressemble presque à du chagrin, comme pour faire corps avec les désillusions d'une génération rongée par le spleen, les doutes, le fatalisme (« Un rebeu sur un vélo c'est soit un dealer, soit un Uber Eat ») et ces foutues addictions censées adoucir le quotidien (« Des cachets pour apaiser sentiments comprimés »).
Avec « MÖBIUS », Rounhaa confirme les sentiments ressentis à l'écoute de ses précédents projets : sa musique évolue dans ces no man's land qui sont autant de points d'interrogation entre les frontières des styles. Soit douze morceaux qui ne bombent jamais le torse même quand l’egotrip pointe le bout de son nez, où la grammaire utilisée trahit une évidente vulnérabilité, où chaque mélodie génère diverses influences concassées, au point de rendre leurs matières élastiques et malléables.
Il y a ces influences électroniques (MUSIC SOUNDS BETTER WITH YOU, qui ne se base pas sur le sample de qui vous savez), entre minimalisme et production charismatique ; il y a ce piano épuré, quoique boosté au moment du refrain par un beat nerveux (ICE) ; il y a ces nappes planantes censées favoriser l’hypnose (LE MORT) ; il y a ces envolées syntéthiques (BONBON&FLEUR), ces boucles entêtantes (LE VENTRE ET LA TOMBE) ou encore ces mélodies joueuses, qui basculent constamment d’une ambiance à l’autre sans jamais perdre en identité. C’est même là tout le charme de « MÖBIUS » que d’être un projet cohérent, à la direction artistique maîtrisée, encourageant la réécoute et rappelant cette certitude : il y a finalement peu d’émotions aussi intenses que celle procurée par l’addiction à un album.
Crédits photo : Ihnid.