Il est temps que le rap français pète les plombs sur le talent de Disiz

Alors que vient de sortir son dernier album, « L’amour », portrait d’un artiste populaire, mais pas toujours reconnu à la hauteur de son importance.
  • S’il est toujours difficile de mesurer l’influence d’un artiste, la tâche est sans doute plus ardue encore lorsqu’on s’intéresse au parcours d’un homme qui a multiplié les identités et les propositions ces vingt dernières années. De fait, qui est réellement Disiz ? Ce rappeur qui pète les plombs le temps d’un premier album couronné de succès (« Le poisson rouge », écoulé à plus de 250 000 exemplaires) ? Ce jeune homme travaillé par l’envie de questionner l’histoire de France (Cours d'histoire) ? Ce « Peter Punk » qui s’essaye au rock ? Ce membre du Klub Sandwich qui, aux côtés de Grems, faisait une croix sur le grand public avec un projet influencé par la grime ? Ce jeune de banlieue prêt à prendre position pour les quartiers défavorisés, quitte à frôler parfois la maladresse ? Cet éternel enfant, rongé par le divorce de ses parents et toujours aussi excité par les dernières tendances (Stromae, XXXTentacion, etc.) ?

    Dans les faits, Disiz est probablement un énorme mélange de tous ces traits de caractères, et c’est sans doute ce qui le rend si influent, quand bien même son nom est moins souvent cité que d’autres de ses contemporains au moment d’établir la liste des game changers du rap français.

    Au même titre que Booba, Rohff, Diam’s ou même Salif, sur un versant plus confidentiel, Disiz est un nom à prendre en considération. Orelsan, Stromae, Roméo Elvis, Ichon, Squidji, Lexa Large ou encore Damso, invité sur son dernier disque (« L’amour ») : tous ont déjà revendiqué l’influence du rappeur du 91, visiblement marqués par l’aisance avec laquelle ce dernier a développé un rap narratif, presque cinématographique par instants.

    Surtout, c’est sa liberté de ton, son aptitude à raconter d’autres types de récits, moins virilistes, plus intimistes (« Rien à foutre de Tony Montana, j’préfère Amélie Poulain/Un vrai super-héros est censé protéger veuve et orphelin »), son absence de pudeur, son envie de s’essayer à différentes esthétiques, de n'être jamais là où on l'attend et d’assumer ses failles qui semblent avoir impacté durablement l’esprit de ces multiples artistes.

    Hasard ou non, Disiz a fini par collaborer avec ceux que, faute de mieux, on pourrait être tenté de considérer comme ses "héritiers", même les plus lointains : outre Rencontre aux côtés de Damso, Go Go Gadget avec Orelsan, Paradis bleu avec Squidji ou Splash, produit par Stromae, rappellent que Sérigne M'Baye Gueye (son vrai nom) est parfaitement conscient de son statut au sein du paysage rap. Dès lors, comment expliquer que son influence soit si minimisée ? Peut-être parce que Disiz n’a finalement jamais livré un album à la hauteur de son talent, voire même de son ambition. Il y a bien « Le poisson rouge », mais, aussi mythique soit-il pour toute une génération, il contient lui aussi ses moments de faiblesse, les petits défauts inhérents et sans gravité d’un premier album.

    Plus les années passent, plus on mesure toutefois l'importance de son œuvre, ne serait-ce que dans cette façon qu’ont les rappeurs de raconter la réalité de l'homme jusque dans ses pires travers, d'écrire à cœur ouvert, d’accepter leur fragilité, de parler de sentiments sans forcément montrer leur côté le plus charitable. L’amour, c’est justement le fil rouge de son dernier album, le treizième, aux influences pop (merci Saint DX, merci Béesau et TAUR). Une énième évolution de la part d’un artiste qui rappelle ici qu’il est bien plus qu’un copain d’avant avec qui on passe du bon temps dans l’idée de faire revenir à la surface les souvenirs des temps plus naïfs. C'est un artiste en phase avec son temps, tout simplement, qui continue de faire sous une autre forme ce qui a toujours fait son charme : se livrer, sans se soucier de paraître vulnérable.

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