2022 M03 4
Après les albums d’Angèle et Orelsan, place au troisième poids lourd de la chanson francophone. Annoncé depuis plusieurs mois, « Multitude » sort enfin ce 4 mars et c’est un euphémisme de dire qu’il était attendu, pas forcément au tournant, mais avec une excitation dépassant les frontières. Au final, pas de guest ni de réelles surprises : presque 10 ans après « Racine carrée », le disque au 36 petites minutes compte 12 titres, sans un seul invité au micro ; le tout précédé d’un buzz retentissant et savamment orchestré par le faux live au JT de TF1, et qui restera dans les annales comme l’un des meilleurs lancements marketing des dernières années. Mais pour le reste, musicalement, où en sommes-nous ?
Tout commence avec un premier titre, Invaincu, où Stromae règle ses comptes avec la mort avec des paroles en forme de lapalissade (« tant que je suis en vie je suis invaincu ») et évoque sa maladie, elle aussi battue dans les cordes. On comprend rapidement pourquoi le Belge silencieux depuis tant d’années a préféré limiter ses prises de parole, quitte à se mettre à dos une partie des médias belges, jusque là habitués à plus de simplicité de celui qui, dépression et fatigue oblige, s’est peu à peu bunkerisé pour ne plus avoir à répondre aux mêmes questions, encore et encore. On n’écoule pas 4,7 millions d’exemplaires d’un album (« Racine carrée ») sans faire des dégâts. Le paradoxe étant qu’ici, Stromae apparait à la fois comme l’otage et le bourreau, à la fois victime et responsable de son succès. Et une grande partie des chansons de « Multitude » chante cet antagonisme, en creux.
Rapidement, on comprend donc en écoutant « Multitude » qu’on ne va pas trop danser. Exit les tubes instantanés comme Papaoutai ou Formidable. L’écriture, plus posée, mélange les grandes histoires et les petites, les dédicaces aux bosseurs de l’ombre (Santé) et aux femmes (Déclaration, et ses paroles 100% empowerment) comme l’évocation de sa situation personnelle ; la paternité sur C’est que du bonheur, la vie à deux sur La solassitude, merveilleux néologisme, ou encore la dépression sur L’enfer.
Point central de l’album : la musique, au détriment des textes dont l’impact reste finalement assez limité. Un fait reconnu par le principal intéressé, pour qui l’écriture n’est pas ce qu’il préfère. « Je dois me plonger dans un dictionnaire de synonymes pour éviter les redites. Ce que j’aime par-dessus tout, c’est composer de la musique ». Les bricolages électroniques belges, à mi-chemin entre la new beat et la musique de foire des années nonante, ont ici cédé la place à du calypso, des rythmes sud-américains, des touches d’erhu (un instrument à cordes chinois) ; une grande diversité qui incarne à elle seule la multitude évoquée sur la pochette.
Mais les deux premières écoutes confirment qu’aucun des titres introspectifs ne s’avère aussi radiophoniques que ceux des deux précédents albums (exception faite, peut-être, de Fils de joie, sans doute le prochain single). Changement d’époque, changement de vie, volonté aussi surement de mieux se préserver, à la fois de lui-même mais aussi du temps qui passe (« J’ai cette peur d’être le mec vieux qui veut faire de la musique jeune » consent le musicien). En lieu et place, le Stromae de 2022 chante l’endométriose, l'infidélité, la solitude et les up and down d’une vie qui ne ressemble clairement pas à la notre.
En clôture, c’est le pote Orelsan – à l’affiche du mini-documentaire consacré à Stromae – qui aide le Belge à terminer son album sur le diptyque Mauvaise journée / Bonne journée, avec en final des paroles résumant à elles seules cinq ans d’absence : « Tout c'que j'sais, c'est que si il s'tourne vers le soleil, l'ombre est derrière lui Et si il est pas né de la dernière pluie, c'est qu'après l'orage viennent les éclaircies ».
Plus normal qu’avant, plus apaisé aussi, Stromae réussit donc son retour sans fanfare. « Multitude » décevra peut-être celles et ceux qui espéraient retrouver le chanteur d’il y a dix ans; les autres se satisferont que ce dernier soit encore en vie. Et c'est déjà pas mal.