2017 M09 21
Patrick Derivaz (ingénieur du son)
« À l’époque, j’étais chef ingénieur dans un studio à Manhattan, où je bossais avec des mecs comme De La Soul ou A Tribe Called Quest. On m’avait proposé d’aller en France pour travailler six mois sur « L’École du micro d’argent », mais ça ne m’intéressait pas. Personnellement, j’avais l’occasion de travailler avec John Cale et Television en parallèle, je ne me voyais pas rater cette opportunité. J’ai donc attendu qu’IAM vienne aux États-Unis, ce qu’ils souhaitaient faire de toute façon, afin de découvrir de nouvelles méthodes d’enregistrement À l’écoute de « L’école du micro d’argent », on l’entend d’ailleurs très clairement : l’approche du son est différente. En France, tout est plus traditionnel, on ne distord pas les sens et on ne met pas le son trop fort. Nous, on travaillait déjà sur du 24-pistes analogique.
Le fait que je sois français a bien sûr facilité les échanges en studio, je pouvais notamment traduire certaines directives, ce qui pouvait être utile pour avancer. En plus, à l’époque, les membres d’IAM s’entendaient encore bien. Bon, il y avait parfois des tiraillements, mais c’est normal lorsqu’on bosse plusieurs mois sur un même projet. Ce n’est jamais tombé dans la dispute, la rancune et la tyrannie. Et il valait mieux, étant donné que l’on passait de longues heures en studio, étalées sur plusieurs mois. Les sessions duraient entre 8 et 14 heures généralement. Parfois, on pouvait enregistrer et finaliser trois morceaux en une session. D’autres fois, on passait une semaine sur un couplet, même si beaucoup de choses ont finalement été créées sur le moment. Il y avait une spontanéité assez forte, notamment permise par le label qui mettait de gros moyens à disposition. Il y avait même un gars de Delabel qui suivait le groupe quotidiennement. Sans ce soutien, Akh, Shurik’n et les autres n’auraient jamais pu venir enregistrer aux États-Unis, ah ah ! »
« C’est ce qui m’a rapidement marqué chez les mecs d’IAM : leur volonté de représenter leur héritage, de rapper ce qu’ils sont, sans faux-semblant. »
Nick Sansano (producteur)
« J’ai tout de suite aimé leur énergie, elle me rappelait celle des mecs avec qui j’avais grandi dans le Bronx, des enfants d’immigrés avec une passion et un sens du social attachant. C’est d’ailleurs ce qui m’a rapidement marqué chez les mecs d’IAM : leur volonté de représenter leur héritage, de rapper ce qu’ils sont, sans faux-semblant.
À cette époque, j’étais d’ailleurs très proche d’IAM, notamment de Phil [Philippe Fragione, aka Akhenaton, ndlr] et de sa famille, avec qui je suis parti en Italie. Je sais que l’on dit régulièrement que j’ai été viré des sessions de « L’école du micro d’argent », mais c’est faux. Le truc, c’est que l’enregistrement a été très long, que la première version du disque a tardé à arriver et qu’à son écoute, Phil et les autres ne se reconnaissaient pas. Leurs goûts avaient évolué et ils voulaient que le disque sonne différemment, ce que je ne pouvais leur apporter à ce moment-là. Ils m’ont d’ailleurs remplacé par Prince Charles Alexander, un pote à moi et un producteur extrêmement talentueux. De mon côté, un grand nombre des morceaux sur lesquels j’ai bossé ont été retenus sur l’album, et j’en suis reconnaissant. D’autant qu’ils continuent aujourd’hui de me rapporter de l’argent, même si cela reste modeste. »
« Pour un groupe de rap, on bénéficiait d’un budget confortable. »
Imhotep (compositeur et beatmaker)
« Au début de l’enregistrement, on avait fait appel à Nick Sansano et Dan Wood, avec qui on avait bossé sur « Ombre est lumière » et dont on appréciait beaucoup le travail, en particulier sur les albums de Public Enemy. Mais l’enregistrement a été tellement long, plus de deux ans, qu’on a fini par collaborer avec Prince Charles Alexander pour la deuxième version de l’album. On adorait ses mixes pour Notorious B.I.G. et on sentait qu’il était capable de nous apporter ce côté dark que l’on voulait. Le label a bien tenté de nous en dissuader, les mecs disaient que l’album était « trop spé », qu’il n’y avait pas de « tube » comme Je danse le Mia. On a défendu nos convictions et nos choix artistiques comme on l’a toujours fait, et ça marché.
« Pour les étrangers, ce rap français sonnait « exotique »«
Ça nous a rassurés dans un sens. Déjà, parce que ça voulait dire qu’on aurait du budget pour le prochain album. Mais aussi parce que l’enregistrement avait été très long. Pour tout dire, on avait commencé la composition et l’écriture à Marseille en 1995, avant de partir enregistrer la première version de l’album à New York en 1996. Pour un groupe de rap, on bénéficiait d’un budget confortable. Je danse le Mia avait été un énorme succès et notre label était confiant. Ceci dit, la réalisation de la version définitive de l’album a nécessité une rallonge conséquente. Comme l’a dit le directeur artistique Lucas Minchillo (qui nous a toujours fait confiance) : « Vous avez explosé le budget ! » Mais il n’y a jamais eu de tensions à cause de ça. Nos sessions étaient festives et conviviales ! En plus, le fait d’enregistrer à Green Street Recordings nous a permis de rencontrer de nombreux artistes : Pete Rock, The Beatnuts, InI, Easy Mo Bee, entre autres… Pour eux, le rap français sonnait « exotique », mais on avait exactement les mêmes méthodes de travail, les mêmes codes et le courant est passé direct ! Jusqu’au jour où on a vu débarquer toute l’équipe des Sunz of Man : le résultat de cette session mémorable a été le titre La Saga. Tout ça pour dire qu’on n’a absolument rien géré et que l’on ne s’est rien interdit ! Cet album est le pur produit d’une inspiration sans contrainte et sans limite. »
À partir du 8 novembre, IAM est en tournée dans toute la France pour les 20 ans de « L’école du micro d’argent ». Toutes les dates sont ici.