2023 M09 26
Il suffit parfois d’une fulgurance ou d’un riff pour fixer un artiste dans la mémoire d’une génération entière. Pour OutKast, il n’aura suffi que d’une expression, une sorte d’onomatopée : « Hey Ya ! ». On est alors en 2003 et ce refrain, dont les premières démos datent de la tournée de « Stankonia » au croisement des années 2001 et 2002, accède illico au panthéon de la pop culture, propulsant le duo formé par Big Boi et André 3000 dans une autre dimension : la fameuse « OutKastmania » mise en scène dans ce clip de Bryan Barber (Beyoncé, Rihanna, T.I.), où l'influence des Beatles est clairement revendiquée, où les costumes sont spécialement designés par André 3000.
« Il y avait beaucoup de nervosité, mais je pense que c'est nécessaire, expliquait ce dernier dans une interview à Hiphopdx.com J'ai l'impression que si tu es trop à l'aise avec ce que tu fais, tu ne te mets jamais en danger. Tu dois voir plus loin. »
Cette nécessité, le duo d'Atlanta en a toujours fait un leitmotiv : sur « Southernplayalisticadillacmusik », « ATLiens » « Aquemini » ou « Stankonia » (4 millions d’exemplaires vendus aux États-Unis), la redite, le plan-plan ou une quelconque formule ont rapidement été bannis du vocabulaire de ceux qui envisagent plutôt chacun de leurs albums comme des performances.
Avec « Speakerboxxx/The Love Below », ce double album où les deux comparses font désormais chambre à part après avoir tant fusionné les idées en studio, il s'agit à présent de prolonger ce rejet des normes : au-delà de Hey Ya! (classé plus du 9 semaines à la tête du Billboard américain), Roses et The Way You Move, Big Boi et André 3000 ne font ici aucun effort pour séduire (le chaland, le fan de rap, l'amateur de pop), mus par une énergie débordante, ne se fiant qu'à leurs propres instincts.
Ici, pas de beats minimalistes à la The Neptunes (même l'émouvant Pink & Blue se conclue dans un déluge d'orchestrations) ou de productions testostéronées à la 50 Cent, alors au sommet, mais des morceaux intenses, parfois surchargés d'informations, qui entrelacent les humeurs, s'autorisent le foisonnement d'instrumentation et croisent tous les genres (funk, soul, jazz, pop, rock et hip-hop, forcément), sans chercher à vouer allégeance à l'un d'entre eux.
Profondément lié à Atlanta (Ludacris, Killer Miker, Lil John ou la Dungeon Family ont répondu présent), « Speakerboxxx/The Love Below » pourrait dénoter vingt ans après sa sortie. Par sa longueur (2h15), par son concept, voire même par son format, les double albums étant peut-être plus rares à l'ère du streaming (notons tout de même que « OSO/Hat Trick » de Caballero & JeanJass reprend la même formule). Il suffit toutefois de tendre sérieusement l’oreille aux 40 titres retenus (sur les 120 « très avancés » enregistrés lors des sessions) pour comprendre les mots prononcés un jour par André 3000 au Times : « La nostalgie est une cage ».
Tout, ici, est donc profondément nouveau, y compris jusque dans le matériel utilisé pour la production (Pro Tools, que le duo apprend alors à apprivoiser). C’était un formidable parti-pris qui, de manière incroyable, est venu conclure ou presque l’aventure OutKast (en 2006, « Idlewild » est nettement moins marquant), tout en incarnant bien involontairement deux révolutions majeures : les dernières heures de la toute-puissance du CD, ainsi que l’ouverture libératrice du hip-hop vers les formats pop.