2021 M03 15
JeanJass : Dis Caba, on continue de faire des sons à deux, on fait de la promo ensemble, nos albums solos sortent sous la forme d'un double album : c’est moi ou on n’arrive pas à se quitter ?
Caba : En vrai, même si on n’apparaît plus ensemble sur les morceaux, on continue d’être à deux en studio et de bosser nos titres l’un à côté de l’autre. En tant que beatmaker et ingénieur du son, tu m’as toujours bien conseillé pendant les sessions d'enregistrement. Pareil pour moi vis-à-vis de l’écriture, des clips ou autre. Ce n’est donc pas pour rien si j’ai fait appel à toi pour gérer la direction artistique de mon disque : il me fallait quelqu'un de fiable pour piloter un peu le projet et me produire des sons comme Polaire.
JeanJass : On peut dire aussi que j’ai produit d’autres morceaux de ton disque, non ? Allez, je le dis ! C'est que ça commençait à me manquer de ne plus produire.... J'avais laissé cette partie du travail de côté sur « Double hélice 3 », mais depuis « High & Fines Herbes » j'y prends à nouveau beaucoup de plaisir. Surtout, c’est intéressant pour moi de composer pour un autre artiste sans que je pose sur la prod’. C’est d’ailleurs ce qui m’a fait kiffer sur Polaire : fouiner à la recherche de sons que personne n’a samplé, me fier à l’ambiance du moment et composer au feeling. Là, ça a donné cette atmosphère à la fois drill et cinématographique.
Caba : De ton côté, comment s’est passé la collaboration avec Vladimir Cauchemar sur Qu’est-ce qui m’arrive ?
JeanJass : En vrai, c’est une coproduction entre Vladimir, moi et BBL, avec qui on a beaucoup bossé sur les « Double hélice ». Mais pour en revenir à Vladmir, c’est un mec que j’ai rencontré via Lomepal et Roméo. Il y a un peu plus d’un an, on est parti au Japon ensemble et, clairement, c’est devenu un pote. Ce qui est intéressant avec lui, c’est qu’il parvient à rendre les productions plus lisibles tout en gardant une certaine finesse, là où l’instru de Qu’est-ce qui m’arrive était nettement plus spé à la base.
Caba : Il est vieux ce titre, non ?
JeanJass : Ouais, il a au moins trois ans. Mais clairement, si un morceau est bon, il peut traverser le temps. D’ailleurs, les retours sont tops pour le moment : à l'heure où on parle, j'ai même 100 000 vues de plus que toi...
Caba : Logique : mon clip est coupé en deux, ce qui fait que si tu veux écouter Polaire d'une traite, tu dois aller sur Spotify. Et là, mes stats sont affolantes ! Ce qui vient confirmer une terrible vérité : je fais du rap élitiste, uniquement pour les gens qui payent, là où toi tu fais du rap de gauche.
JeanJass : Caba et JJ, toujours là pour réunir la France !
Caba : C’est moi ou tu es complétement déprimé quand je ne rappe pas à tes côtés ?
JeanJass : C’est clair que Qu’est-ce qui m’arrive explore des émotions inédites. Mais bon, promis, il n’y a pas que de la mélancolie sur mon projet. Je n’ai pas envie que le public ait envie de se pendre... C’est juste que le fait d’être seul permet de creuser d’autres sujets, de parler de sa famille, d’aller plus loin dans le storytelling. Ça ouvre d’autres possibilités, c’est libérateur.
Caba : C’est aussi pour ça que j’ai tweeté« Caba est mort, vive Caba ! » : ce solo, c’est une façon de rappeler que je peux mourir et ressusciter dès que j’en ai envie. Par le passé, j’ai déjà maltraité mon public en changeant complétement d’approche d’un jour à l’autre, et je n’ai toujours pas envie de me limiter : c’est aux gens de me suivre, pas l’inverse. D’où Polaire. D’où ces titres plus introspectifs. C’est un peu moins la rigolade ces temps-ci, donc j’avais envie d’aller vers des thèmes plus personnels. Mais bon, tout ça, tu le sais déjà.
JeanJass : C’est vrai qu’on a réalisé nos deux albums à trois, avec Jules Fradet. Tout s’est fait au Studio Planet, à Bruxelles que l’on possède depuis 2017. C’est notre petit laboratoire. Jules tient la machine, travaille avec d’autres artistes et permet au lieu d’avoir une économie. Nous, on débarque le soir, une fois qu’il est parti, et on bosse comme on l'entend, selon notre propre rythme. On ne va pas se mentir : c'est hyper pratique pour aller au bout de nos idées.
Caba : Grosse pensée pour Lomepal également, qui est venu plusieurs fois à Bruxelles et nous a beaucoup conseillé. Ensemble, on a formé un quatuor démoniaque à même de préparer au mieux tout ce bordel.
JeanJass : Enfin, ça c’est quand tu n’es pas au coffee-shop avec Isha…
Caba : Ah, ça, c’est toujours agréable d’être dans ce genre de lieu avec ses potes. Et là, malin, cette phase dans Polaire me permet de dédicacer aussi bien mon ami de longue date, Ysha, que le rappeur que tout le monde connaît aujourd’hui.
JeanJass : En parlant de potes, la présence de PLK et Luv Revsal s’imposait d’elle-même ?
Caba : J’avais envie de faire du son avec des gars que je connais. PLK et Luv ont tout de suite été chauds ! Et c’est quand même marrant de continuer de collaborer avec PLK, un mec que l’on voyait rapper dans des freestyles Grünt alors qu'il n'avait que 16 ans et qu’il avait la dalle. Toi, en revanche, c’est un autre niveau : tu as fait appel à Akhenaton, direct.
JeanJass : Ouais, c’était le rêve. C’est mon rappeur français préféré, donc je suis super fier qu’il ait répondu présent. D’autant qu’il a lâché un gros couplet et qu’il m’envoie désormais des petits selfies pour me dire qu’il fait beau à Marseille. Véridique ! Mais le truc avec Mains qui prient, c'est que j'avais déjà les couplets et l'instru. Pourtant, je ne pouvais pas m'empêcher de penser que ça collait parfaitement à son univers. Du coup, j'en ai parlé à mon manager, il m'a encouragé, on s'est démerdé pour trouver son numéro via des amis que l'on a en commun, il m'a dit qu'il était partant et, dix jours plus tard, il m'a envoyé un 32-mesures hyper bien calé. Tellement professionnel, le mec.
Caba : Pour en revenir au contenu des albums, je pense que toi et moi, on ne s'est imposé aucun thème, aucun fil rouge. C’est vraiment la musique qui guide le tout, j'avance au feeling, selon la couleur de la production. Et quand je galère à écrire, je jette le morceau. Je ne force jamais l’inspiration, je balance ce qui me vient à l’esprit et pioche dans les rimes que j’ai déjà dans mon portable. Car, oui, je déteste gâcher des punchlines. Je suis un recycleur de ouf.
JeanJass : Autant le dire : on fait de la musique éco-responsable.
Caba : Et sinon, dans la forme, tu ne trouves pas que l’on se la joue un peu comme OutKast sur « Speakerboxxx/The Love Below » avec notre double album solo ?
JeanJass : Dans la forme, c’est l’idée : il n’y aucun morceau où on rappe ensemble, mais tout est lié. D’un côté, il y a ta pochette, de l’autre, la mienne. Reste à espérer que « OSO » et « Hat Trick » soit aussi important dans notre discographie que « Speakerboxxx » ou « The Love Below ».
Caba : Il faut aussi avoir qu'il y a un côté stratégique derrière tout ça. Les gens nous ont connu ensemble. Alors, pour ne pas les perdre ou les perturber, on leur montre que l’on est toujours potes, mais que l'on peut exister en solo, que l’on a chacun notre propre univers. Ce sera peut-être plus facile à accepter pour eux que l’on évolue chacun de notre côté par la suite.
JeanJass : Et « Double hélice 4 », parfois tu te dis qu’il faudrait qu’on le sorte ?
Caba : J’y faisais allusion dans La lettre pt.2, et c’est vrai que l’on bosse déjà sur de nouveaux morceaux ensemble, qui pourraient sortir n’importe quand. Cela dit, rien ne nous oblige à revenir avec un album ou à l’appeler ainsi.
JeanJass : On en revient à ce que l'on disait tout à l'heure, non ? Ce n'est pas parce que tu débarques avec un morceau egotrip et moi avec un titre plus mélancolique que l'on a envie que nos projets respectifs aient toujours la même couleur. On a plus d'ambition que ça et, surtout, on a envie de se faire plaisir.
Crédits photos : Romain Garcin.