2023 M02 8
Il est évidemment possible de passer au crible les premières mixtapes dans l'espoir d'y déceler des traces de la grandeur à venir, voire des indices sur l'état d'esprit de 50 Cent au début des années 2000. « 50 Cent Is The Future », dit l'une d'entre elles, excellente, sortie en 2002 : c'est vrai que le rappeur new-yorkais y montre déjà quelques qualités susceptibles de marquer son époque.
Aux États-Unis, beaucoup commencent à en être convaincus, surtout depuis que Curtis Jackson est tombé dans le giron d'Aftermath, le label de Dr. Dre, et d'Eminem : deux fortes têtes, deux stars, deux artistes au sommet qui se révèlent être les hommes de la situation pour faire basculer la carrière de 50 Cent dans une dimension résolument nouvelle et populaire.
2002, c'est aussi cette période où plusieurs changements s'opèrent dans la vie du rappeur. À commencer par Wanksta, ce morceau présent sur la B.O. d'8 Mile qui, en à peine quatre minutes, fait de 50 Cent un artiste à suivre, un mec prêt à cracher sur les faux gangsters de l'industrie (Ja Rule, Fat Joe). Un faiseur de tubes également, même si en France, où l'ensemble de la population préfère écouter en boucle Lose Yourself d'Eminem, son nom reste encore méconnu hors du circuit rap. Mais plus pour longtemps.
Sorti quelques semaines avant « Get Rich Or Die Tryin' », In Da Club annonce la couleur : ce premier album ne doit pas faire dans la demi-mesure, c'est un blockbuster, une machine à hits puissants et testostéronés, une relecture du gangsta-rap où seuls le sexe et la violence font briller le fond de l'œil. Trois ans après s'être fait tirer dessus, accentuant un storytelling trop beau pour que l'on tente de le gâcher, 50 Cent semble être guidé par une même idée au moment d’enregistrer ces seize morceaux : si les auditeurs viennent pour renifler le danger, ils vont le trouver !
Les premières secondes en indiquent bien la teneur : une pièce qui tombe, une gâchette de flingue, tout est ici pensé pour souligner le quotidien crapuleux d'un rappeur peu attiré par l'introspection ou les sentiments. Aux côtés du G-Unit (Young Buck, Lloyd Banks, Tony Yayo), 50 Cent sort les muscles (la pochette, le clip d’In Da Club), les armes (la caisse-claire coups de feu qui rythme Heat a été réalisée en studio avec de vrais flingues) et rejoue à merveille le rôle du pimp.
« Je viens de la rue. J’ai été un gangster, j’ai vendu du crack, j’ai tripoté des armes et il se peut que j’en tripote encore dans le futur », clamait-il fièrement. Traduction : 50 Cent est typiquement le genre de type à qui on n'impose rien, qu'on veut suivre.
L'erreur serait effectivement de résumer le succès de 50 Cent à la seule présence de Dr. Dre et Eminem. De What Up Gangsta à 21 Questions, conservé malgré les réticences de l'ex-N.W.A., le New Yorkais a cette intelligence musicale qu'ont les grands rappeurs, cette aisance derrière le micro qui leur permet de faire corps avec la production, cette vision qui les encourage à s'approprier des morceaux incompris par d'autres. In Da Club ? Refusé par D12 ! Many Men ? Rejeté par Nas. Heat ? Initialement proposé à Rakim. À chaque fois, 50 Cent se réapproprie ces instrumentaux et en fait des hymnes tout entier dédiés à son égo, à ses flirts avec la mort, à cette voix qui, derrière l'aspect chantonnant, raconte les pires horreurs.
Ce contraste entre des mélodies imposantes, des refrains efficaces et des textes en forme d’odes à la voyoucratie, voilà sans doute ce qui explique l’énorme succès de « Get Rich Or Die Tryin’ », tellement attendu qu’Interscope Records décidait à l'époque d'avancer de cinq jours la sortie afin de profiter au maximum du buzz. À raison : le 6 février 2003, ce premier album devient illico le plus vendu dans l’histoire du rap (872 000 exemplaires en à peine une semaine), détrônant le record jusque-là détenu par Snoop Dogg avec « Doggystyle ». Pas rien.
Depuis, « Get Rich Or Die Tryin’ » a continue de donner du travail aux disquaires (15 millions de copies à travers le monde) et d’influencer toute une génération d'artistes biberonnés (Pop Smoke, Hamza) à cette collection de tubes massifs, clinquants, tellement mythiques que 50 Cent peut aujourd'hui encore en exploiter l'aura populaire. Malin, il vient ainsi de proposer à la vente (399$) des exemplaires signés de « Get Rich Or Die Tryin' » : cet album qui, avec le recul, présente une nouvelle idole sur qui compter (l'album suivant, « The Massacre », s'écoule à 1,14 millions d'exemplaires en seulement quatre jours), et annonce une nouvelle ère pour le rap, rythmée par les clashs et les succès grand public.