Flashback : quand John Lennon se comparait à Jésus-Christ

Le monde du rock est balisé de phrases cultes qui ont forgé son caractère légendaire. Parmi elles, on retrouve celle que John Lennon a prononcé en 1966. En affirmant dans un certain contexte que les Beatles étaient « plus populaires que Jésus », le chanteur a déclenché un authentique scandale qui allait rythmer l'ultime tournée du groupe avec des menaces de mort et des boycotts.
  • « Aujourd’hui nous sommes plus populaires que Jésus ». Tout est parti de cette phrase, qui comme souvent lorsqu’une polémique s’embrase, a été sortie de son contexte. Nous sommes en 1966, année que les Fab Four choisissent pour lever le pied après 3 ans de tournée. À ce moment de leur carrière, certains observateurs ne voient pourtant pas le phénomène Beatles marquer son temps. Leur amie journaliste, la jeune Britannique Maureen Cleave, ne conçoit pas les choses de la même façon et convainc leur manager Brian Epstein de réaliser une série de portraits sur chacun des membres. L’idée est simple : prouver que le monde n’assiste pas à une mode éphémère. Arrive alors l’entrevue avec John Lennon, 25 ans au moment des faits. 

    Enregistrée depuis sa luxueuse demeure de Weybridge dans la banlieue londonienne, cette interview promet de montrer une facette du guitariste sans aucun filtre, naturel au possible. Mais, éreinté par les concerts incessants, Lennon n’a plus le même sourire aux lèvres. Pire encore, cette pause que le groupe a prise à plonger le chanteur dans la tourmente. En parallèle de son rôle de père et des excès qu’on lui connaît, il est en pleine crise existentielle. Une période qu’il gère en se renfermant dans des livres et un nouveau sujet clef, les religions du monde. 

    Malgré cela, et vu la proximité entre la journaliste et l’artiste, la discussion se passe à merveille. Les sujets s’enchaînent et John Lennon n’en élude aucun. Il parle avec facilité d’argent, des relations tendues avec son père, de sa nouvelle vie de famille, sans oublier bien sûr de sa dernière lubie religieuse. C’est en ouvrant cette réflexion que la fameuse phrase est effectivement prononcée. Pourtant, elle s’imbrique dans une réponse bien plus complète :

    « Le christianisme va disparaître. Il disparaîtra et décroîtra. Je n’ai pas besoin de discuter de cela. J’ai raison et l’avenir le prouvera. Aujourd’hui, nous sommes plus populaires que Jésus. Je ne sais pas ce qui disparaîtra en premier, le rock’n’roll ou le christianisme. Jésus était un type bien, mais ses disciples étaient bêtes et ordinaires. Ils ont tout déformé et tout décrédibilisé à mes yeux. »

    Avec ces éléments en main, la plume du London Evening Standard s'attèle à la rédaction de cet article. Relu puis validé par son boss, ce papier montrant un John Lennon intime et répondant à l’angle « Comment vit un Beatles ? » est publié le 4 mars 1966. Dans les jours qui suivent, rien ne se passe. Le calme avant la tempête.

    Si au Royaume-Uni le contenu de cette interview est apprécié et que les réflexions du chanteur sonnent plus comme une attaque de l’institution britannique, cible de nombreuses railleries, plutôt qu’à la religion, le feu vient de l’autre côté de l’Atlantique. Un petit matin, le rédacteur en chef de Datebook — un magazine s’intéressant autant à la culture qu’à la société et la musique, connu pour sa ligne progressiste — trouve sur son bureau un colis. À l’intérieur, il découvre la fameuse interview du fondateur des Beatles.

    Outré, et sans doute conscient des potentielles retombées économiques, Datebook affiche sur sa une du 29 juillet 1966 les propos « chocs » de Lennon, totalement sortis de leur contexte. Dans ce pays où la devise est « In God We Trust » depuis 1956, inutile de dire que la pilule ne passe pas. C’est le début du « Ban the Beatles », une campagne nationale de boycott porté par deux animateurs radio de l’Alabama, Tommy Charles et Doug Layton. En affirmant sans l’accord de leur direction qu'ils vont bannir de leurs ondes les chansons du groupe anglais, les deux protagonistes jettent les premières pierres de la fronde.

    Rapidement après ce positionnement, un journaliste de l’Associated Press publie à son tour un article, et la machine s’emballe. Les stations de radio les plus fondamentalistes suivent leur exemple, et les États du Kentucky, de l’Ohio, de la Géorgie, de la Caroline du Sud ou encore de l’Utah, radient les Beatles de leurs programmations. Une moindre peine. Alors qu’en Alabama les albums des Anglais sont brûlés, en Afrique du Sud et au Mexique, leurs disques sont tout bonnement interdits à la vente. Même le Vatican reprend et fustige les propos tronqués de John Lennon. Le « Plus populaires que Jésus » initialement prononcé se transforme définitivement en « Plus grands que Jésus ».

    Le mal est fait et le groupe redémarre sa tournée mondiale. Après des dates houleuses au Japon et aux Philippines, la mauvaise troupe atterrit finalement aux États-Unis. Affublés du statut d’ennemi public numéro 1 et croulant sous les menaces de mort, le Ku Klux Klan en tête, les Beatles trinquent sévère et Brian Epstein songe à annuler la tournée. Les mains liées par de tels enjeux financiers, il se ravise et envoie Lennon au casse-pipe, à Chicago, à la veille du premier concert américain. Une conférence de presse est donnée dans le hall de leur hôtel :

    « Je suppose que si j’avais dit que la télévision était plus populaire que le Christ, je m’en serais tiré sans dommages. Je ne suis pas anti-Dieu, anti-Christ ou anti-religion. Je n’étais pas en train de taper dessus ou de la déprécier. J’exposais juste un fait, et c’est plus vrai pour l’Angleterre qu’ici. Je ne dis pas que nous sommes meilleurs, ou plus grands, je ne nous compare pas à Jésus-Christ en tant que personne, ou à Dieu en tant qu’entité ou quoi qu’il soit. J’ai juste dit ce que j’ai dit et j’ai eu tort. Ou cela a été pris de travers. Je suis désolé pour ça. »

    Cette intervention calme les ardeurs de la presse et permet tant bien que mal aux Fab Four d’honorer leur tournée, le ventre noué par la peur. Après de multiples frayeurs, notamment l’histoire du pétard lors de leur show à Memphis, la série de concerts s'achève au Candlestick Park de San Francisco, le 29 août 1966. Officiellement, cette représentation sera leur toute dernière en public, comme Lennon l’explique dans le livre « The Beatles Anthology » (2000) :

    « Je ne voulais plus tourner, surtout après avoir été accusé d’avoir crucifié Jésus, alors que je n’avais rien fait d’autre qu’une remarque désinvolte […]. Après avoir dû endurer le Klan à l’extérieur et les pétards à l’intérieur, je ne pouvais pas en supporter plus. »

    À la fin de ces événements, les Beatles deviendront un groupe de studio. Leurs fans pourront tout de même les voir une dernière fois en live le 30 janvier 1969, perchés sur le toit d’Apple (leur label, Ndr). Une sorte de baroud d’honneur, puisqu’un an et demi plus tard, le groupe annoncera officiellement sa séparation.

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