2016 M11 26
Années 1960. Alors que partout dans le monde s’abat un vent de libertés (sexuelles, musicales, sociales), Cuba est progressivement fermée à double tour par un jeune fougueux qui installe une police de la pensée sur la petite île. Au programme pour le peuple, une démocratie light avec purges homophobes en apéritif et double ration de coupes de cheveux pour les garçons, au nom de « l’éducation idéologique du peuple cubain ». Sale temps pour les hippies à la Havane.
Alors que Fidel a pris le pouvoir depuis déjà quatre ans, les Beatles, eux, vont sans le savoir devenir l’incarnation du Mal en dictature communiste. 1964 : John, Paul, George et Ringo entament une délirante tournée américaine (voir le récent docu Eight days a week réalisé par Ron Howard) et un passage au Ed Sullivan Show les transforme en demi-dieux vivants. Deux albums en moins de six mois – « A Hard Day’s Night » et « Beatles for Sale », des singles que tout l’Occident chante (Can’t buy me love, She loves you et I want to hold your hand) et de jeunes ados qui jouissent littéralement pendant leurs concerts, ça y est, les Beatles sont prêts pour devenir le symbole de la décadence capitaliste. Du moins aux yeux de Castro… qui décide, en toute simplicité, de les interdire à Cuba.
Débute alors une incroyable situation : le répertoire des Beatles est déclaré illégal au pays des cigares et des albums comme « Sgt. Pepper » sont écoutés clandestinement et au volume minimum chez quelques rebelles, qui prennent le risque d’être dénoncés par les voisins puis de finir au trou pour trahison à la cause castriste. Cinquante ans plus tard, on peine à imaginer qui pourrait être emprisonné pour avoir écouté Kanye West (hormis lui-même, peut-être).
L’histoire pourrait s’arrêter là, mais c’est sans compter sur l’ambiguïté de l’ancien guerillero. Après s’être quasi convaincu que les Beatles n’étaient rien d’autre qu’un jouet inventé par la CIA pour le renverser, il inaugurera finalement en 2000… le parc John Lennon à la Havane, après avoir déclaré que tout compte fait, l’auteur d’Imagine et lui « avaient en commun d’être de doux rêveurs, mais aussi des révolutionnaires défendant la working class ». Okay, Lennon n’aimait ni la CIA ni la politique impérialiste des États-Unis, mais pas sûr qu’il aurait aimé la police de la pensée culturelle mise en place par Castro pendant plusieurs décennies. Voilà donc l’un des plus beaux retournements de veste de l’histoire de la pop culture qui permet de conclure qu’à Cuba, on peut être Fidel, oui, mais pas forcément à ses principes.