2017 M02 15
La patronne. Huit coups de grosse caisse et un de caisse claire. Dès les premières secondes de On & On, la tête commence à hocher lentement. Le single le plus fameux d’Erykah Badu est sorti ne 1997, au même titre que son classic album, « Baduizm ». Une arrivée dans le game juste après le « Brown Sugar » de D’Angelo (1995). Ce dernier est le patron de ce qu’on appelle alors la nu soul. Badu en sera la patronne. Et même vingt ans après, c’est encore le cas.
L’aventure new-yorkaise. Originaire de Dallas, elle officie tout d’abord dans un duo, Erykah Free, et bosse avec un paquet de producteurs. En avance sur son temps, sur les autres, elle se lasse vite d’attendre l’approbation de gens moins talentueux. Elle part à New York sur les conseils de son homme d’alors, le non moins talentueux André Lauren Benjamin, alias André 3000, moitié du groupe Outkast. Là-bas, on lui propose d’abord de travailler dans le développement des artistes du label Boca Raton, tant ses talents et son sens musical sont élevés. Pour sa musique, on lui dit qu’il faudra encore attendre, que ça n’est pas assez mainstream.
D’Angelo sur le coup. Erykah se barre avec sa démo de On & On sous le bras et parvient à la refiler au manager de Mobb Deep, Kedar Massenburg, qui raconte : « J’ai d’abord fait écouter la démo à D’Angelo dans ma bagnole et il disait : ‘Yo, K, elle est incroyable, tu dois me laisser produire l’album’. J’ai dit : ‘Nah mec, tu ne peux même pas finir ton propre album ! Tu crois que je vais te laisser produire celui d’Erykah ? Avec le temps que ça te prend ? Mais elle va faire ta première partie à Dallas.’»
La dream team. Si une bonne partie de l’album est déjà pratiquement dans la boîte avant même la signature du deal, le reste rameute une équipe de choc pour polir le diamant, notamment le grand contrebassiste de jazz Ron Carter et le groupe The Roots, qui ne le savent pas encore mais vont bientôt exploser aux yeux du grand public. Deux Grammys plus tard, la légende commence, faite de groove, de sensualité, de longs vêtements colorés et de comparaisons (justifiées ou non) avec Billie Holiday.
« Ne jamais la regarder plus de cinq secondes dans les yeux, sinon, elle prend le contrôle de votre esprit. » (Questlove)
La fille de Ms. Jackson. En 1999, elle collabore une nouvelle fois avec The Roots sur leur titre You Got Me. Un succès qui va augmenter sa popularité, notamment parmi le public hip-hop. Surtout, elle s’entoure des Soulquarians, collectif d’artistes plus géniaux les uns que les autres : Common, Q-Tip, J Dilla, Talib Kweli, D’Angelo, Bilal, Mos Def, The Roots, James Poyser, Raphael Saadiq… Séparée d’André 3000 (la fameuse Ms. Jackson dont parle le fameux single d’Outkast est en fait la mère de Badu), elle se fait une spécialité de donner le tournis aux rappeurs. Questlove, batteur et leader de The Roots, dira d’ailleurs : « Ne jamais la regarder plus de cinq secondes dans les yeux, sinon, elle prend le contrôle de votre esprit. » Son second album, « Mama’s Gun », s’écoute pendant des heures et contient les hits Bag Lady ou encore Didn’t Cha Know.
Sur les traces de JFK. Au cours des années 2000, sa popularité est énorme. Mais Erykah Badu est portée sur la méditation, le yoga, est végétarienne et pratique la sophrologie… La cadence imposée par le succès ne lui convient plus. Elle se fait plus rare, plus discrète. Deux albums sortent dans les années 2000 : « Worldwide Underground » (2003) et « New Amerykah Part One » (2008), acclamés par la critique, à raison. En 2010, elle sort « New Amerykah Part Two » et commence à soigner sa promo. Elle filme par exemple le clip de Window Seat à Dallas, à l’emplacement exact où Kennedy s’est pris une balle en 1963. On la voit marcher dans la rue, se dénuder progressivement, puis tomber subitement, une balle dans le crâne.
L’art de la mixtape. Récemment, Erykah Badu a multiplié les duos : Flying Lotus, Bonobo, Janelle Monáe… Elle arbore de grands chapeaux, notamment lors de la promotion de ses deux excellentes mixtapes sorties en 2015, puis en live. L’un des derniers en date a eu lieu dans les locaux du New York Times et prouve que « Baduizm », comme son auteure, n’a pas pris une ride.