De Taylor Swift à Caroline Polachek, elles ont toutes été influencées par Imogen Heap

Imogen Heap a récemment publié une photo d'elle en studio aux côtés de Taylor Swift, à l'occasion de la sortie de « 1989 (Taylor's Version) ». L'occasion de revenir sur le parcours et l'influence d'une artiste injustement méconnue en France et pourtant citée en référence par des artistes aussi saluées qu’Ariana Grande, Caroline Polachek ou Oklou.
  • Il suffit a priori d'évoquer le nom d'Imogen Heap pour qu'un tas d'images surgissent : celle, dans Newport Beach, du corps de Marissa Cooper dans les bras d'un Ryan Atwood en larmes au son d'une reprise du Hallelujah de Leonard Cohen par l'Anglaise ; celle de Zach Braff courant dans un aéroport à la recherche de Natalie Portman dans Garden State sur fond de Let Go ; celle, enfin, de cette fameuse séquence parodique du Saturday Night Live où Hide And Seek se fait entendre. Toutes ces scènes, en quelque sorte, font partie de l'imaginaire populaire - du moins celui d'une génération née au croisement des années 1980 et 1990.

    De manière totalement injuste, Imogen Heap, dont les morceaux ont illustré bien d'autres scènes dans bien d'autres productions audiovisuelles (Shrek 2, The Last Kiss, Six Feet Under, etc.), n'a pourtant pas accédé à une renommée internationale, là où Sia, révélée à peu près à la même époque via les mêmes médiums (les séries, donc), fréquente aujourd'hui les plus hautes sphères de l'industrie musicale.

    Il semblerait toutefois que tout ce temps passé dans l'ombre n'ait en rien diminué l'influence d'Imogen Heap auprès d'artistes apparus ces quinze dernières années : elle a co-écrit et co-produit Clean de Taylor Swift, composé à partir d’études sur les nouveau-nés une chanson censée faire sourire les bébés (The Happy Song, que le New York Times qualifie comme « probablement la plus grande chanson jamais composée du point de vue de l'efficacité »), est citée en référence par PinkPantheress, Caroline Polachek, Oklou ou Ariana Grande (« La femme qui inspire chacun de mes mouvements »), tandis que Pure Smile Snake Venom d'Eartheater s’inscrit à l’évidence dans le prolongement de ses travaux, condensés en cinq albums (six, si l’on se compte celui de son groupe, Frou Frou) au sein desquels la scène rap (A$AP Rock, Lil B, Mac Miller, Clams Casino) aiment aller puiser de multiples samples.

    Il y a dans cette manière de laisser vivre sa musique dans les mélodies des autres quelque chose d'intriguant ; d'autant plus quand on sait à quel point Imogen Heap aime travailler seule. À 45 ans, l'auteure-compositrice-interprète semble avoir toujours procédé ainsi : petite, elle fait ainsi mine devant de jouer Bach et Beethoven pour mieux se déchainer sur le piano une fois ses parents partis. Pareil à l'adolescence : lorsque son professeur la renvoie, elle en profite pour apprendre à échantillonner et à séquencer sa musique à l'aide de la console Atari.

    Mieux vaut donc ne pas se fier aux prémices de son parcours - des études au sein de la prestigieuse BRIT School, une signature à 18 ans sur un label -, ni à l'évidente immédiateté de ses refrains : Imogen Heap aime avant tout bidouiller ses instruments, glisser des idées avant-gardistes dans des mélodies a priori proprettes, amener de la complexité dans des morceaux pensés pour être accessibles au plus grand nombre - pas pour rien, finalement, si, quatre ans après la sortie de son premier disque (« I Megaphone », 1998), la Britannique enregistre un album aux côtés de Guy Sigsworth, directeur musical de Björk, Madonna et Britney Spears.

    Jusqu'au-boutiste, Imogen Heap l'est tout autant en solo. Doit-on rappeler, par exemple, qu'elle n'a pas hésité à hypothéquer sa maison afin de produire et d'enregistrer son classique, « Speak For Yourself » (2005) ? Doit-on souligner à quel point Hide And Seek est d'une grande modernité sur le plan formel, avec cet a capella vaporeux, obsédant, rendu plus troublant encore par l'utilisation du vocoder ? Doit-on mentionner le travail opéré sur la voix, cette façon de la considérer comme un instrument à part entière, sans pour autant faire de l'instrumentation, volontiers expérimentale, un élément en arrière-plan ? Doit-on revenir sur la beauté de son travail de production, à l'image de celui réalisé sur Goodnight And Go, qui évoque la pop baroque de Kate Bush passée au tamis de textures électroniques à la fois romantiques et enjouées, et pourtant complexes dans leur conception ?

    Aujourd'hui, son look parfois fantasque, sa discrétion (elle n’a pas sorti d’album depuis 2014) et le peu de considération que semble lui accorder la presse musicale française ne doivent donc pas faire oublier à quel point Imogen Heap a bâti une œuvre importante, constamment revisitée par le gratin de la pop, attiré autant par la faculté de cette dernière à s'approprier les nouvelles technologies (en 2010, avec « Ellipse », elle devient la première femme à remporter un Grammy dans la catégorie « Album le mieux produit ») que par la fausse naïveté de ses compositions.

    « Il y a beaucoup de petites choses que l'on découvre au fur et à mesure des écoutes, quelque chose que tout le monde peut retenir », déclare Clams Casino à Pitchfork, dans un article où le propos de Taylor Swift fait encore mieux en termes d'éloges : « Elle est l'une des artistes les plus intéressantes et les plus uniques »

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