2023 M09 22
Si Björk ou Joanna Newsom avaient réalisé ce disque, on aurait probablement eu droit à une flopée d’orchestrations complexes, voire à des symphonies de poches culminant systématiquement dans des refrains censés à faire l’étalage de leurs capacités vocales. Avec Alexandra Drewchin, c'est tout autre chose qui se joue : l'Américaine n'a certes pas la même réputation que ses illustres aînées, il n'y a même finalement aucune véritable raison de créer un rapprochement, mais on ne peut pas s’empêcher de voir en elle la possible nouvelle incarnation d’un folk enchanteur, élevé en liberté, tiraillé par tant de sentiments douloureux que chaque chanson, aussi délicate ou bienfaitrice soit-elle, pourrait faire passer les contes des frères Grimm pour des romans noirs.
Seul hic : Eartheater (puisque tel est son nom de scène) est encore une inconnue pour le grand public. Rattachée à la scène hyperpop du fait de ses relations (Casey MQ est présent sur son dernier album, « Powders », tandis que Sega Bodega en assure la production), proche de Caroline Polachek (avec qui elle collabore sur Ocean Of Tears), la multi-instrumentiste et productrice américaine semble évoluer dans l'ombre de ses contemporains. Il faut dire que ses albums déploient d'autres intentions, s'appuient sur une tout autre forme d'instrumentation.
Ici, pas de débauche d'énergie façon 100 gecs ou de beats dansants à la manière de PinkPantheress et Shygirl : de l'inaugural « Metalepsis » (2015) au tout récent « Powders », sorti mercredi 20 septembre sur son propre label (Chemical X), Eartheater profite de chacun de ses albums pour opposer à cette vision maximale de la pop music une retenue, un tempo ralenti qu'il serait tentant de considérer comme du folk électronique.
En un sens, Eartheater pourrait totalement être l’équivalent adulte de cette gamine du fond de la classe. Celle qui, lorsqu’on l’interpelle, sort tous ses atouts afin de susciter le plaisir de ses camarades, avant de laisser planer un fascinant mystère autour de sa personne, de retourner s’asseoir près du radiateur pour penser à ses chansons, chaleureuses, qui réchauffent les cœurs.
Il faut en effet être fan des films de Michael Bay pour ne pas être touché par cette conception de la pop, tout en soustraction et en émotions, pour ne pas se passionner pour cette reprise de System Of A Down (Chop Suey, qu’elle reprenait déjà au lycée à la guitare acoustique) et pour ne pas voir en « Powders », enregistré au Sunset Studio de Los Angeles (Beach Boys, Prince…), une œuvre capable de nous tenir compagnie sur le long terme, doucement excentrique, où le minimalisme (des enregistrements captés à l'iPhone) côtoie les orchestrations, où le charme des chansons triomphent toujours sur l'intelligence du son.
Dernière bonne nouvelle : ces neuf morceaux, probablement les plus imméditament pop composées jusqu'alors par Eartheater, ne sont finalement que la première partie d’un diptyque voué à être complété au printemps 2024 avec « Aftermath ».