2023 M03 21
Il y a parfois des plaisirs que l’on s’accordent mais dont on sait qu’ils sont presque honteux. Genre mélanger des gaufres avec du poulet frit et du sirop d’érable puis terminer le repas avec de la glace vanille entre deux cookies. C’est trop. Trop sucré, trop gras, trop décadent. « 10,000 gecs », c’est exactement ça : un concentré de plein de bons — ou mauvais — éléments musicaux mis bout à bout. Un album où le duo américain de 100 gecs, sorte de punks à chien du Missouri qui ont des airs de deux ados attardés, s’autorise tous les fantasmes, même les plus inavouables, pour mettre la pop en PLS et lui donner une dimension totalement folle. Et contrairement à la malbouffe, écouter leur musique n’aura aucun impact sur vos prochaines analyses de cholestérol.
Depuis 2016 et la sortie d’un premier EP terminé en une semaine, le duo malmène la pop dans tous les sens. Trois ans plus tard, en 2019, le premier album réalisé à distance — Brady était à Los Angeles et Les dans le Missouri — sort dans les bacs. Même si le disque manque de clarté et de cohérence pour convaincre, les deux Américains deviennent viraux et sont vite qualifiés de nouveaux porte-paroles de l’hyperpop, un genre musical qui se nourrit des tous les excès : les excès de goûts, de mélange des genres et de bonnes manières.
Durant la pandémie, les deux amis tuent le temps en faisant des concerts virtuels dans Minecraft et en préparant en catimini leur deuxième album « 10,000 gecs ». Un disque où Limp Bizkit rencontre la techno glitch, le nu metal, la noise et la teen pop ultra autotunée, et qui vient d’atterrir sur la planète Terre via une connexion internet ultra-rapide après 18 mois intense où le groupe a dû se dépatouiller entre ses 4000 démos. Mais derrière la débilité apparente, il y a un album très malin qui jongle avec ses influences multiples pour recracher une musique ancrée dans son époque et taillée pour conquérir un large public. Elle peut aussi bien titiller la nostalgie de ceux qui ont connu le passage au nouveau millénaire qu’un collégien accro à TikTok.
Pour ce deuxième album « 10,000 gecs », le duo a élevé son niveau de jeu. Partis dans un studio analogique, ils ont engagé Josh Freese (Guns N’ Roses, Weezer) à la batterie et ont aiguisé leurs lames pour créer des morceaux plus directs, plus tranchants, mais en gardant cette fusion sonique des genres qui définit maintenant le duo. Les chansons sont courtes — aucune ne dépasse les quatre minutes — et ressemblent au mur d’une chambre d’ados où des posters de Britney Spears, de Sum 41, Nirvana, Cypress Hill, Korn et Fatboy Slim seraient accrochés.
Sur Dumbest Girl Alive, 100 gecs passe d’un riff de metal et d’une batterie qui fracasse tout à une techno cheloue bublegum pour revenir sur des guitares saturées. Hollywood Baby rappelle les plus belles années du alt-rock US et du pop-punk, The Most Wanted Person In The United States est fourre-tout total avec des fragments 8-bits et un hip-hop souterrain, Frog On The Floor est un hymne ska improbable et débile qui donne le sourire, Billy Knows Jamie sonne comme si Death Grip faisait du dark metal en essayant de copier Aerosmith et One Million Dollars pousse assez loin de le concept du « Nirvana rencontre la noise, qui rencontre le rap obscur de Soundcloud et qui se réveille à 6 heures du matin sur une plage sans savoir ce qui vient de se passer lors dernières 48 heures ».
Les paroles sont elles aussi aussi débiles que géniales, oscillant entre le pénis d’Anthony Kiedis, des gens qui vendent de la cocaïne lors de soirées, manger des chips avec l’acteur Danny Devito ou aller se faire retirer une dent.
Déroutant et fascinant, cet objet hybride qu’est « 10,000 gecs » est à mettre entre les mains de tous les fans de musique. D'une part, pour déstabiliser pour les vieux adeptes du rock à la papa, mais surtout pour montrer à quoi ressemble l’esprit punk à l’ère de TikTok, des relations virtuelles et de la Gen Z. Cette révolution musicale en cours passe par une attitude irrévérencieuse face aux diktats de la pop music et par un melting pot audacieux des genres. Créer la pop de demain n’est pas une tâche facile. Mais laissez 100 gecs aux commandes, et ils réussiront à vous convaincre que non, ce n’était pas forcément mieux avant.