Shygirl : êtes-vous prêt à entendre la pop music du futur ?

Très attendu, le premier album de la Londonienne (« NYMPH ») paraîtra le 30 septembre prochain. En attendant, Shygirl est de passage à We Love Green : l’occasion de comprendre qui est vraiment cette artiste protéiforme, biberonnée à la science-fiction, comme débarquée du futur avec une pop music elle-même réticente à accepter 2022.
  • Certains sentiments sont tellement stupides, étranges ou simplement difficiles à dire qu’on laisse le silence les enterrer, comme si ça ne valait pas la peine d’en discuter. Pour se protéger des turbulences du monde extérieur, il n’existe alors qu’un seul refuge : l’art, et plus précisément celui façonné par des artistes habitués aux marges, qui se moquent des normes, assument leur excentricité et se définissent volontiers comme des « freaks » - ce terme moins péjoratif et effrayant qu’il y a quelques années, qui donne son titre à l’un des plus importants singles de Shygirl.

    Impossible pour autant de voir en l'Anglaise un monstre ou un phénomène de foire. Une artiste extraordinaire, en revanche, c’est oui : on sent chez elle l'envie de fuir les attentes, de ne s’entourer que d’autres agitateurs de neurones (slowthai, Arca, Zebra Katz, SOPHIE) et de ne s’imposer aucunes limites, comme d’apparaître le visage coincé dans une membrane semblable à de la chair sur la pochette d’un de ses EP’s.

    En roue libre depuis ses débuts, Shygirl a prouvé à maintes reprises qu'elle pouvait tout tenter : depuis les locaux de Nuxxe (Sega bodega, Coucou Chloé, Oklou), label qu’elle a cofondé, la Londonienne a pensé des clips en 3D (SIREN, FREAK), joué en tant que DJ dans les clubs les plus undergrounds d'Angleterre, collaboré avec quelques pop-stars (Lady Gaga, FKA Twigs), enthousiasmé d'autres (Rihanna, notamment) et samplé le cri de Marion Crane dans Psycho. Ça donne UCKERS : probablement l’un des titres les plus fous et angoissants de 2019.

    Depuis, chaque sortie est là pour brouiller les pistes, de même que ce pseudo, presque inadapté à cette jeune femme, pas vraiment timide, ni jamais réellement sur la réserve. C’est d’ailleurs ce qui rend l’EP « ALIAS » si puissant : à l’écoute de cette pop foutraque, jamais aussi épanouie que dans un désordre où R&B, indus, hip-hop, élans gothiques et électro se côtoient, on comprend que l’Anglaise est une tête chercheuse, préférant faire du studio une expérience incroyable plutôt que d’attendre que la vie passe à l’arrière du break de maman.

    On plonge donc dans la musique de Shygirl comme on rencontrerait par hasard des clubbers du futur un soir sous défonce : avec la certitude de vivre une expérience inédite, radicale, sans réellement savoir ce qui se joue autour de nous. Active depuis 2016, Shygirl s'est déjà créé de multiples personnages (Bonk, Bovine, Baddy, Bae), tandis que le virtuel semble incarner pour elle un monde infini où, comme dirait l’autre, ses envies prennent vie.

    À l'évidence, on prend un énorme plaisir à suivre ce joyeux tapage, jusqu’aux tréfonds de la nuit, précisément là où la musique de Shygirl prend toute sa mesure : après tout, ce n’est pas pour rien si d’autres adeptes des soirées tardives, Boys Noize et Basement Jaxx, ont tenu à remixer certains de ses morceaux. On est toutefois certain que Cleo, l’un de ses derniers singles, peut se priver d’un tel ravalement de façade : des déluges de violon, un beat hérité de l’eurodance 90, une rythmique féroce et une voix hypnotique censée faire office de liant entre l’esprit et les hanches, voilà en quelques mots la pop music telle qu’envisagée par Shygirl. C’est énigmatique, hybride, déroutant, mais qu’il est bon d’être pris ainsi à contre-pieds, de perdre l’équilibre à l’écoute de morceaux faussement complexes, qui encouragent paradoxalement la réécoute : seule garantie d’un plaisir réitéré.

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