2022 M06 2
Première vérité : depuis la sortie de « galore » en septembre 2020, Oklou n’a pas vraiment chômé. Il y a eu différentes captations (pour Arte et Boiler Room, le temps d’une performance en dehors du temps), la réalisation d’une bande originale pour l’exposition d’une amie, quelques remixes par-ci par-là (Dua Lipa et Caroline Polachek, avec qui elle traine beaucoup, y compris sur la scène de Coachella), la réalisation d’une édition anniversaire de sa première mixtape, et un duo avec Flume, Highest Building, l’un des plus majestueux de son dernier album.
Malgré tout, on se dit naïvement que la Française a des raisons d’être frustrée : parce que la sortie de « galore » avait été quelque peu plombée par l’annonce d’un nouveau confinement, parce qu’elle a dû attendre de longs mois avant de pouvoir le défendre sur scène, et parce que l'une de ses plus délicates pop songs (Being Harsh, en duo avec A.G. Cook) est passée injustement inaperçue. Oklou n’éprouve toutefois aucun regret : « “galore” a très bien vécu en ligne : le nombre d’auditeurs n’a cessé de grandir, les échanges avec le public ont été toujours plus nombreux et intenses, pose-t-elle, lucide et convaincue. Actuellement, je consacre tout mon temps au live, la période est riche en dates, mais je sais que je vais vite avoir besoin de me plonger dans une nouvelle histoire. »
Oklou l’affirme sans trembler : elle n’a pas eu le temps de se consacrer pleinement à « galore anniversary ». La nouvelle version d’asturias, aux côtés de Zero Castigo, a été faite en une heure, tandis que galore - french version a été réalisé à distance avec Pomme : « Le texte est en français, ce qui est très rare chez moi, alors j’ai simplement chanté ce que Pomme avait écrit. C’est plus facile à assumer que d’interpréter mes propres mots ». Lorsqu’elle évoque l’auteure de « Les failles », Oklou ne manque ni d’éloges, ni d’enthousiasme au moment de relier leurs univers respectifs via des références communes : les dessins animés, notamment ceux d’Hayao Miyazaki, le fantastique, un rapport presque enfantin à la musique et un goût prononcé pour les comptines.
Celles de « galore » ont suffisamment d’imagination et d’innocence, de gravité et de grâce, de vulnérabilité et d’onirisme pour rendre le monde beau autour d’elles. On se dit qu’elles sont l’œuvre d’une taiseuse, de celles qui trainent leur mystère avec elles, d’une artiste de 28 ans qui a parfaitement compris les codes de l’époque (le digital, le travail visuel, les liens avec la mode, etc.) sans pour autant faire de concessions. « Aujourd’hui, l’identité visuelle peut être un accès vers un plus gros succès, ça se voit dans plein de carrières, confirme-t-elle. Le plus gros banger des réseaux sociaux ces derniers mois reste pourtant PinkPantheress, qui ne communique absolument rien. Chez moi, cette imagerie sert avant tout ma musique, très cinématographique. »
Deuxième vérité : au-delà du style, il y a une réputation. Celle d’exceller dans la production électronique, d’être une artiste qui, depuis ses premiers morceaux sur Garageband ou Logic, ne semble jamais aussi à l’aise que derrière ses machines (un clavier MIDI et un ordinateur), au point d’être vue par certains comme une geek. « Ce que je ne suis absolument pas, se défend-t-elle. Je ne suis pas du tout intéressée par l’aspect technique de la production. Je suis simplement obsédée par la mélodie, les effets de voix et la finesse des arrangements. Ça me rappelle ce que j’ai pu vivre lors de mon éduction musicale, au conservatoire de Poitiers et dans une école de jazz à Tours, où on faisait attention à tous ces détails. » Une manière pour Oklou de dire qu’elle décide de tout ce qui la concerne et choisit elle-même de valider telle ou telle idée.
Ce mélange de r&b et d’électro, d’acoustique et d’électronique, ça sonne bien. Elle en fait sa signature. Cette atmosphère vaporeuse, parfois anxiogène et toujours connectée aux cultures numériques paraît légèrement déstabilisante ? Tant mieux, c’est qu’elle est synonyme de modernité et qu’elle laissera les réacs à la traine. « Voir une meuf derrière des machines, ça a encore tendance à intriguer… Heureusement, ça n’a jamais été un frein me concernant. J’ai passé tellement de temps à chercher mon son, à l’assumer et à prendre des directions personnelles qu’il a toujours été hors de question de sacrifier quoique ce soit. Je veux que les gens comprennent que j’ai encore plus de plaisir à être derrière un synthé que derrière un micro. »
C’est peut-être sur scène que ce propos prend davantage de consistance, où l’on comprend qu’Oklou s’exprime moins par sa voix qu’à travers ses instruments, qui n’ont pas peur de la mélancolie, du romantisme et de tous ces instants suspendus qu’ils suggèrent. « Dans mes morceaux, je parle de montagne, de berger, d’isolement et de mondes féériques : les images qui surgissent s’ancrent donc dans un univers bien précis ».
Une fois la tournée terminée, il faudra toutefois faire face à la réalité et se replonger à nouveau dans la création. Le challenge est de taille, mais il est excitant : « Tout l’enjeu va être de déployer un univers tout aussi habité, de savoir sur quelle histoire je vais baser ma narration : pour “galore”, j’avais puisé dans des expériences hyper personnelles, au point d’avoir beaucoup pleuré pendant l’enregistrement, mais on n’a pas toujours des trucs déprimants à raconter... » Une bonne nouvelle, finalement : cela signifie que tout va désormais mieux dans la vie d’Oklou, et qu’il est temps d’évoluer vers d’autres registres, d’autres teintes. « L’idée, ce n’est pas nécessairement d’aller vers des sonorités plus enjouées, conclut-elle. J’ai simplement envie de continuer à développer des récits immersifs, avec un début et une fin, et d’aller encore plus loin dans l’irréel ».
Troisième vérité : Oklou est une artiste aux idées claires, dont la science d’écriture autorise toutes les possibilités, toutes les fantaisies.
À noter que Oklou donnera également deux concerts à la Gaîté Lyrique, les 14 et 17 juin prochains.