Comment Bad Bunny est devenu l'artiste le plus écouté au monde

Vu de France, difficile de prendre toute la mesure de Bad Bunny, véritable idole outre-Atlantique et parfaite incarnation de cette pop music hispanique. Son dernier album, « Nadie sabe lo que va a pasar mañana », peut-il changer la donne ? Il permet en tout cas de tirer le portrait de l’artiste le plus streamé au monde.
  • Il y a quelque chose d'amusant à voir Bad Bunny faire son retour avec « Nadie sabe lo que va a pasar mañana », quelques jours après que Drake ait enfin sorti son dernier album. Non pas que les deux soient en concurrence. C'est juste que lorsque le Canadien publie un « For All The Dogs » quelque peu boursouflé et des choix artistiques qui divisent sur les réseaux, le Portoricain ne cesse de voir sa popularité s'accroître, encore et encore.

    Artiste le plus écouté au monde sur Spotify depuis trois ans, lauréat de sept Billboard Latin Music Awards en 2023, longtemps tenu pour le premier rôle d'une superproduction Marvel (finalement annulée par Sony), des tournées à guichets fermés dans les stades du monde entier : la réussite de Bad Bunny est tellement indécente que l'artiste en est arrivé à ce point de sa vie où l'on se dit « et après ? »

    Au sein d'une industrie qui peine à s'appuyer sur de vraies locomotives commerciales et capables de réunir plusieurs générations d'auditeurs sur le long terme - qu'en sera-t-il d'Olivia Rodrigo ou Troye Sivan dans quelques années ? - il est en effet difficile d'imaginer Bad Bunny repousser encore longtemps l'inévitable sort qui semble être réservé aux popstars d'une génération biberonnée aux algorithmes de TikTok. 

    Ce qui ne veut pas dire qu'il soit interdit d'y croire, tant Bad Bunny, depuis 2016, déjoue toutes les statistiques. Il a alors 22 ans, chante dans la chorale de l’église, travaille au supermarché de Vega Baja et, peu avant les fêtes de fin d’année, publie sur Soundcloud Soy Peor, ce titre qui l'inscrit illico dans l'héritage du reggaeton, ce genre traditionnellement cadenassé par les codes, voire les dogmes. C'est justement à partir du moment où Bad Bunny va choisir de rompre avec toute forme de tradition, ou d'obligation, que sa carrière changer de dimension.

    En cela, la sortie d’Estamos Bien en septembre 2017 constitue probablement un point de bascule. Parce que le Portoricain vient alors de changer de manager et de label. Parce que ce morceau confirme sa capacité à provoquer des effets de masse à chaque single, et parce qu’il décide presque malgré lui d’une certaine orientation de sa carrière.

    Désormais, il n’est plus question pour cet artiste affable de clamer uniquement son amour pour les femmes et les grosses cylindrées. Il prend des positions claires sur le plan politique, dénonce les violences domestiques (Solo), se vernis les ongles (Caro), dresse le portrait de femmes indépendantes (Andrea) et s’en prend sur les réseaux sociaux aux vedettes du reggaeton qui continuent de véhiculer titre après titre un tas de clichés autour des femmes.

    Le plus impressionnant, c’est que Bad Bunny parvient (à chaque projet, lors de chaque intervention médiatique) à imposer ses propres règles, consistant à refuser les interviews en anglais (pourtant deuxième langue officielle de Porto Rico), à privilégier les collaborations avec les artistes hispanophones et à insister pour que les popstars invitées sur ses morceaux s’essayent à la langue de Ricky Martin : c’était notamment le cas pour Drake avec Mia (2018), preuve que les destins des deux artistes étaient faits pour se croiser.

    À l'évidence, Bad Bunny partage d'ailleurs avec le Canadien une même capacité à occuper l'espace et à vampiriser tous les styles : sur « Nadie sabe lo que va a pasar mañana », pensé comme un retour à un son hip-hop beaucoup plus musclé, le Portoricain sample aussi bien Charles Aznavour que Madonna, passe de la jersey club (CYBERTRUCK) et de l’électro pétaradante (HIBIKI) au R&B sensuel (LOS PITS), et pose un regard emphatique sur son parcours dès l’introtruction, NADIE SABE, porté par un déluge de violons censé susciter l’émotion. Et renforcer encore davantage sa propre mythologie ?

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