De Kraftwerk à PNL, une histoire du vocoder (avec un peu d'Auto-Tune)

  • En 2017, les voix des hits sonnent toutes filtrées et synthétiques. La faute à l’Auto-Tune ? Plutôt à un ingénieur américain dont la machine et ses dérivés obnubilent encore les musiciens, des décennies après son invention.

    Chaque activité humaine comporte son lot de méprises à éviter. La plongée sous-marine suppose de savoir distinguer la nageoire dorsale d’un requin de celle d’un dauphin (légèrement plus droite), l’écriture de romans policiers ne tolère pas la confusion entre un revolver et un pistolet, tandis que tout amalgame entre sous-virage et survirage envoie l’apprenti pilote dans le décor. Il en est de même en musique, activité propice aux débats sans fin où l’on entend chaque jour des experts se référer à tort et à travers  au « vocoder » : « T’as entendu le vocoder sur Dans la légende de PNL ? J’adore cet effet sur leur voix… » Ce mot valise cache en réalité trois outils aux fonctions et aux destinées différentes. Savoir les reconnaître évite de dire n’importe quoi et offre une perspective nouvelle sur l’étrange histoire d’amour qui lie depuis près d’un siècle les musiciens aux robots en tous genres.

    L’autre chant de la machine

    De nos jours, on révère deux Homère, le poète grec et/ou le père de Bart Simpson. L’histoire de la pop culture en cache pourtant un troisième qui a discrètement orchestré une révolution : celle de l’avènement des robots chantants. Homer Dudley, ingénieur des laboratoires Bell a passé sa vie à tenter de reproduire mécaniquement la voix humaine. En 1939, il présentait enfin son voice-coder lors de l’exposition universelle de New York. Sa machine analyse les principales composantes spectrales de la voix à partir desquelles elle fabrique un son synthétique. Ainsi décomposé, le son est plus facile à émettre sur de longues distances. Premier essai concluant avec un chant du folklore irlandais Love’s Old Sweet Song. Deuxième essai : le projet X qui permit des échanges confidentiels entre Roosevelt et Churchill pendant la Seconde Guerre mondiale. La machine est alors composée de douze terminaux occupant tout une pièce. Pour plus de renseignements, il faut se rendre au Musée de la Cryptographie géré par la NSA.

    Les découvertes des nerds finissant souvent entre les mains des musiciens, un certain Werner Meyer-Eppler s’en inspire pour écrire sa thèse Elektronische Klangerzeugung : Elektronische Musik und Synthetische Sprache en 1949. Il est le premier à concevoir une musique entièrement composée par ce type d’outil. Trente ans plus tard, ses compatriotes de Kraftwerk utilisent une version simplifiée de l’appareil, le Sennheiser VSM 201, pour interpréter The Robots. On commence à triper et à danser avec ces voix synthétiques qui résonnent jusque dans le Bronx où le DJ Afrika Bambaataa s’inspire de leur « Trans Europe Express » pour bâtir sa Planet Rock, au climat plus moite. Au même moment, les Anglais de The Buggles se servent du vocoder pour une déclaration de circonstance I love you Miss Robot.

    Devenu un instrument à part entière, l’appareil sert à mettre en scène la distance entre l’homme et la machine, notamment dans le sublime O Superman de l’artiste plasticienne Laurie Anderson, ou quand un Neil Young, occupé à passer ses journées avec un fils handicapé survivant grâce à des machines, s’en empare pour composer son album « Trans ». Il faudra attendre les robots français de Daft Punk pour remettre one more time le vocoder au goût du jour. À chaque fois, celui-ci ne transfère plus des informations confidentielles mais bel et bien de l’amour.

    Talk box, la fellation électronique

    À la différence de son aîné, cette boîte produit un son électronique qui arrive via un tuyau dans la bouche du musicien, lequel y ajoute sa voix, devenue synthétique. L’appareil rappelle le sonovox de Kal Kyser, chanteur de jazz qui, en le plaçant directement sur la gorge, faisait swinguer les danseurs dans les années 1940. Les sonorités sont tout autant organiques que synthétiques, aussi sensuelles que froides. Ce n’est plus un robot qui chante mais un cyborg. Le talk box avait un roi incontesté, Roger Troutman, un de ses seigneurs du funk qui cumula avec son groupe Zapp quelques hits au début des années 1980. Il usa et abusa de l’instrument jusqu’en 2000 lorsque son manager de frère, Larry, le flingua de quatre balles avant de se suicider devant le studio familial. Juste avant qu’on ne l’enferme dans la dernière boîte, son neveu chanta le gospel Amazing Grace avec son instrument fétiche à la Solid Rock Church de Lebanon dans l’Ohio. Au milieu des années 1970, l’appareil rendit également fou le rocker Pete Frampton qui mêlait solo de guitare électrique et voix trafiquée. Dans Show me the way et Do you fell like we do, on ne sait plus qui chante : la boîte, le chevelu ou son instrument.

    Auto-Tune, le photoshop de la musique

    À force de vouloir chanter comme une machine, l’homme a fini par opérer une fusion totale entre les deux. Celle-ci prend la forme d’un logiciel fabriqué par la société Antares depuis 1997. Créé par un ingénieur de l’industrie pétrolière spécialiste des ondes acoustiques, Auto-Tune analyse la fréquence et la hauteur d’une voix et la cale sur une gamme de notes définie à l’avance. En d’autres termes, le logiciel corrige la voix en temps réel. C’est idéal pour les chanteurs au registre limité, les stars qui mêlent chant et chorégraphies trépidantes sur scène, ou les bidouilleurs qui, poussant certains réglages à fond, créent une nouvelle voix aux sonorités électroniques et métalliques. La chanteuse Cher sera la première à populariser cet usage en 1998 avec Believe, une des pires chansons jamais enregistrées.

    Ensuite, Madonna et Mirwais augmentent le niveau avec Music avant que Kanye West ne mette tout le monde d’accord sur son album « 808s & Heartbreak ». Il ne s’agit plus d’électroniser des chansons pop mais de mettre en scène une lancinante mélancolie électronique. Au même moment, le rappeur T-Pain fonde sa carrière sur l’abus d’Auto-Tune. La technique n’échappe pas à Booba qui popularise ce son en France avant que l’horrible Jul (Mon bijou, 27 millions de vues sur YouTube) n’en fasse sa signature. L’Auto-Tune étant devenu en une décennie un moyen automatique de faire de la thune, Jay-Z s’énerve et proclame D.O.A., Death of Autotune à grand renfort de sax soprano et de guitares : « This ain’t for iTunes, this ain’t for sing alongs / This is Sinatra at the opera, bring a blonde / Preferably with a fat ass who can sing a song. » Bien entendu, cela ne suffit pas, l’invasion continue et continuera. Par PNL, elle passe déjà : « Sans vocoder, je suis claqué », reconnaît Ademo dans Mowgli. Dans la jungle de la musique, les chanteurs solitaires ont trouvé un allié infaillible.

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