2020 M12 7
Il y a des années durant lesquelles les planètes semblent s’aligner en faveur de la musique. 1956, avec Elvis, Billie Holiday, Louis Armstrong ou encore Ella Fitzgerald, a été incroyable. Plus tard, 1991 marquera aussi une génération (My Bloody Valentine, Nirvana, REM, Red Hot, Primal Scream, etc.). Mais 1970 est probablement l’une des plus marquantes. Elle résume bien la transition entre la fin d’un rêve hippie initié dans les sixties - notamment avec la fin des Beatles, d’Hendrix et de Simon et Garfunkel - et le début d’une nouvelle époque qui va voir éclore celles et ceux qui ont commencé à faire des vagues à la fin des années 1960 (Neil Young, Led Zeppelin, The Doors, etc.).
Le 10 avril 1970, les Beatles se séparent officiellement, avec cette une du Daily Star : "Paul Quits The Beatles". Ils se disent au revoir avec « Let It Be » qui sort quant à lui le 8 mai de la même année. Plus tôt, c’était Simon and Garfunkel qui s’en allait avec « Bridge over Troubled Water », avant qu’Hendrix ne décède le 18 septembre. 1970, ce sont donc trois artistes emblématiques des sixties qui sortent de scène en laissant derrière eux une utopie et un rêve.
Mais 1970 marque également la sortie d’albums majeurs (la liste n’est pas exhaustive) : « Loaded » du Velvet, « Paranoid » de Black Sabbath, « Fun House » des Stooges, « Morrison Hotel » des Doors, « All Things Must Pass » de George Harrison, « Led Zeppelin III », « Bitches Brew » de Miles Davis, « Lola versus Powerman and the Moneygoround, Part One » des Kinks ou encore « The Madcap Laughs » de Syd Barrett font partie des plus connus. Ils sont tous dans les bacs la même année, aux côtés de disques moins remarqués mais tout aussi bon, comme « Heron » du groupe du même nom, « Cold Fact » de Sixto Rodriguez, « Shooting at the Moon » de Kevin Ayers, « Kraftwerk » de Kraftwerk, « Runt » de Todd Rundgren ou l’expérimental « The End of an Ear » de Robert Wyatt. Bref, les noms de ces albums parlent d’eux-mêmes, et pour la grande majorité, même 50 ans plus tard, se boivent comme du petit lait.
En 1970, c’est aussi l’année où Stevie Wonder gagne en épaisseur avec « Signed, Sealed & Delivered », où Aretha Franklin signe deux très bons disques, « This Girl's in Love with You » et « Spirit in the Dark », où James Brown lâche son Sex Machine et où Diana Ross fait ses débuts en solo avec « Diana Ross » et « Everything Is Everything ».
Si durant les années 1960, la pop régnait en maître, les seventies sont les années du rock (sous toutes ses formes, allant du glam au prog en passant par le punk), de la soul, de la funk et du disco. Et à posteriori, on peut dire que les disques sortis en 1970 donnent la couleur des années à venir. Stevie Wonder va imprégner la décennie avec son talent (notamment avec « Innervisions » puis « Songs in the Key of Life »), Bowie va devenir une icône et Marvin Gaye sortira dès 1971 un disque ô combien important : « What's Going On ». D’ailleurs, selon le critique musical David Hepworth, auteur de l’ouvrage Never a Dull Moment: 1971—The Year That Rock Exploded, s’il fallait choisir une année dans les années 1970, ça serait plutôt 1971. Pour lui, les albums les plus influents sortent cette année-là : « There's a Riot Goin' On » de Sly and the Family Stone, « Songs of Love and Hate » de Cohen, « Blue » de Joni Mitchell ou encore « Tago Mago » de CAN (là non plus, la liste n'est pas exhaustive).
On peut aussi voir à quel point ces deux années, plus généralement cette décennie, ont laissé leurs empreintes dans la musique dite moderne. Sans Todd Rundgren, pas de Tame Impala (le groupe a été grandement influencé par « A Wizard, a True Star » pour « Lonerism »). Les Daft se sont associés à Nile Rodgers de Chic pour leur tube Get Lucky, Kanye West passe son temps à sampler des artistes importants des seventies (Aretha, Steely Dan, Curtis Mayfield, King Crimson, etc.) et des groupes comme Lemon Twigs ou Foxygen n’existeraient pas sans les albums de cette période. Même 50 ans plus tard, l'esprit de 1970 est toujours là.