2020 M04 10
Le 10 avril 1970 aurait pu être un jour comme un autre avec ces gens qui vont au travail, ceux qui promènent leur chien et ceux, sans doute les plus étranges, qui se mettent à rêver de bals populaires en écoutant le tout dernier single de Michel Sardou. Ce vendredi-là, pourtant, un séisme a eu lieu, dont on ressent encore les secousses aujourd'hui. Il suffit alors d'aller faire un tour dans les kiosques et acheter son quotidien préféré pour en prendre conscience. Tous ne parlent que de ça : « Paul quitte les Beatles », « Les Beatles se séparent », etc.
Le choc est réel, aussi traumatique que compréhensible. Après tout, il ne s’est écoulé que huit ans entre les débuts du groupe et cette séparation. Huit ans, c’est presque le temps qu’il faut à des groupes tels que Daft Punk, Radiohead ou Aphex Twin pour enregistrer ne serait-ce qu'un nouvel album. Les Beatles, eux, à une cadence infernale, ont profité de cette période pour définir l’avenir de la pop, lui ont offert suffisamment de pistes à suivre et de possibilités à explorer pour les décennies à venir ; bien malin celui capable de tracer un lien entre ces tubes gentillets joués dans des clubs de Hambourg et la furie d'Helter Skelter.
Avec le recul, cette annonce du 10 avril 1970 est finalement logique. Voilà plusieurs semaines que les rumeurs vont bon train. L’enregistrement du « White Album » a prouvé que les quatre garçons dans le vent ne suivaient plus forcément la même brise. Dans les médias, on accuse Yoko Ono d'avoir foutu le souk en interne, on pointe du doigt l’addiction toujours plus prononcée de Lennon aux substances hallucinogènes, on reproche à Paul McCartney d’avoir pris cette décision par égoïsme, au point d'annoncer la sortie de son premier album solo dans la foulée. Bref, on dit tout et son contraire. Et cela ne s’arrange pas avec le temps, même si on a fini par apprendre que Lennon avait déjà annoncé son départ en septembre 1969, quelques heures après un concert donné à Toronto en compagnie du Plastic Ono Band.
La vérité, c'est que les Beatles sont fatigués : fatigués de devoir enchainer les disques, fatigués des tournées promotionnelles, des sourires à renvoyer à leurs fans et des contraintes liées à leurs contrats. Il est temps pour eux de se lancer en solo - à l'époque, le triple album de George Harrison est déjà prêt -, tout en ignorant probablement le vide qu’ils s'apprêtent à laisser dans la vie de millions de fidèles. Parmi eux, certains prolongent le mythe dans des romans (Le jour où les Beatles se sont séparés), d’autres organisent des festivals sur Facebook dans l'idée de commémorer le temps d’un week-end l’événement, et d’autres encore, comme le journaliste Vincent Duluc, dans un article pour les Inrocks, balancent cette criante vérité : « Être des enfants des Beatles impliquait d'être des enfants du divorce, d’être pris dans un monde sans mode d’emploi, où l’on n'a d’autres choix que de grandir pour comprendre, que d’accepter qu’une histoire puisse avoir une fin. »