Rock en Seine : 5 concerts qu'il ne fallait pas louper

Ce week-end, le domaine national de Saint-Cloud affichait les couleurs du festival francilien de Rock En Seine. Une édition anniversaire, deux décennies après sa création, qui a su une fois de plus ramener le rock et ses différentes scènes au cœur des conversations avec 76 concerts répartis sur 5 scènes. Une première soirée 100% féminine, dominée par l’icône pop Billie Eilish, trois journées alimentées par des gros mastodontes du rock – The Strokes, Placebo, Foals – et toujours ce flair pour programmer le renouveau des formations à guitares – Dry Cleaning, Wet Leg, Boygenius – ont su convaincre plus de 144 000 festivaliers. Retour en images sur nos cinq coups de cœur live de cette 20ème édition.
  • C’est sous un soleil caniculaire que le festival francilien inaugure sa première journée, mercredi 23 août. Les habituels trentenaires à lunettes noires et bottines en cuir ont laissé place à un jeune public, maniant avec dextérité l’art du « front row ». Tête d’affiche oblige. Le nom de Billie Eilish est sur toutes les lèvres, la chanteuse de 21 ans et son frère, Finneas, ont prévu d’inonder Saint-Cloud de leur pop mélancolique, empreinte des angoisses de la jeune génération.

    Un sacré coup pour le festival, qui a su rafler l’unique date française de l’Américaine, s’octroyant l’opportunité de faire carton plein dès le premier soir sans pour autant vider le portefeuille de ses habitués. En effet, très rares sont celles et ceux qui fouleront la même pelouse quelques jours plus tard, pour se frotter au son saturé des Foals, ou à l’électro allumée des Chemical Brothers. De notre côté, le pari est pris.

    girl in red, déferlante d’énergie indie-rock

    Si l’ambitieux show de Billie Eilish nous a davantage marqué pour ce qu’il incarne auprès de la jeune génération que pour sa performance en tant que telle, c’est l’indie-pop de girl in red que l’on a décidé de retenir en cette première journée.

    Chemise noire oversize et 501 taille homme, la Norvégienne a tout pour intégrer la bande des « Kids » de Larry Clark, le skate en moins, la préoccupation pour la santé mentale en plus. Venue défendre sa bedroom pop pour la seconde fois au domaine de Saint-Cloud, après un passage encore timide en 2019, la chanteuse de 24 ans a, cette fois-ci, fait l’effet d’une comète, loin des standards du genre.

    Son style à la fois sobre et incisif a rapidement conquis le jeune public. De ses chansons, inspirées de ses propres épreuves et tribulations en matière de santé mentale et sexualité, transpirent une bienveillance qu’elle a su transformer en une énergie brute. Le très mélodique we fell in love in october, tube qui l’a fait sortir des charts de sa Norvège natale, se retrouve scandé par la foule « my girl, my girl, you will be my girl », éclairée par une lumière de fin du jour.

    N’hésitant pas à stopper le concert pour reprendre ses esprits, elle repère des festivaliers au bord de l’insolation : « Tout le monde est ok ? ». La sécurité se fraie un chemin à travers le public, aidée par les indications de la chanteuse. Ici, la bienveillance n'est pas juste une posture générationnelle, elle est véritablement initiatrice de changements dans notre façon de vivre collectivement la musique. S’en suivra un très beau final sur I wanna be your girlfriend, après avoir tapé du pied sur l’énervé Serotonin, et communion avec le public oblige, elle finira par s’offrir un bain de foule, portée par une forêt de bras tendus vers le soleil couchant.  

    Yeah Yeah Yeahs, boite de nuit punk à ciel ouvert

    Non loin des monstres sacrés de la scène, Karen O possède son lot d’anecdotes bonnes à noircir des pages entières de récits scéniques historiques. En voici une prise au hasard, lors d’un concert en Australie, la chanteuse new-yorkaise s’était jetée de la scène, atterrissant tête la première contre une barrière, deux mètres plus bas. Le surlendemain, dans l’incapacité de marcher, elle assurait la date suivante accrochée à son pied de micro.

    C’est donc avec toutes ces pensées qu’on s’est naturellement dirigé, lors de la troisième journée, en direction de la scène Cascade. Aussi fût-il important d’ajouter, que le silence discographique et scénique, en France, d’une durée totale de neuf longues années n’a fait qu’exciter nos attentes. L’hypnotique Cool it down, cinquième album dégainé en septembre dernier, avait par ailleurs su nous combler avec ses synthés cosmiques, posant les bases d’une nouvelle ère pour Yeah Yeah Yeahs.

    Sans surprise donc, ouverture spectaculaire avec une Karen O dans une tenue allumée, que l’on aurait aisément pu croiser dans un film de SF expérimental des années 70. Titre après titre, elle déconstruit sa tenue pièce par pièce, comme pour dégourdir progressivement chaque partie de son corps, et se laisser envahir par l’énergie des riffs balancés par son guitariste Nick Zinner. 

    Non Karen O n’est pas une icône dépassée, il suffisait d’entendre la joie explosive du public à l’écoute des premières notes du dansant Heads Will Roll. Ou encore, après avoir adressé un mot à Florence Welch de Florence and the Machine – déprogrammée pour des raisons de santé, se laisser envahir par l’émotion de « l’unique love song des Yeah Yeah Yeahs », selon les mots de Karen O, soit Maps.

    Après avoir transformé le bas domaine de Saint-Cloud en gigantesque boite de nuit rock à ciel ouvert, la frénésie de celle-ci ira la pousser jusqu’à fracasser son micro sur la scène. Spectacle consensuel pour faire plaisir aux nostalgiques d’une époque moins calibrée diront certains. C'est probable. Il n’empêche que c’était foutrement jouissif, et on en redemande.

    Foals, valeur sûre et déflagration sonique

    Programmé sur une dernière journée musclée et dominée par les groupes à guitares, à quelques heures à peine de la tête d’affiche du week-end, les Strokes, Foals avait tous les voyants au vert pour servir de rampe de lancement au mastodonte qu’est la formation de Casablancas. C’est finalement la prestation de Yannis Philippakis et ses compères qu’on retiendra bien plus que celle des New-Yorkais.

    Foals en live, c’est un peu comme commander un steak frites à la cantine, malgré l’océan de choix, on est rarement déçu. Quatrième Rock en Seine pour les Anglais et quatrième confirmation d’un groupe qui sait manier l’intensité d’un live à la perfection. Avec, en guise d’attaque, deux tubes capable de décrasser les hanches de n’importe quel individu pourvu d'une paire d’oreilles : Wake Me Up et Mountain At My Gate. Suivis d’une partie à la fois dansante et planante, marquée par des envolées instrumentales à faire saliver les geeks de pédales d’effets. La suite n’est que montée en intensité sur Black Bull et Inhaler, jusqu’à libérer une décharge d’énergie salvatrice sur le puissant What Went Down, où l’on a pu apercevoir Yannis traverser une forêt de photographes, organisant un joyeux chaos au passage, pour finir le titre à quelques centimètres des têtes ébahis du premier rang. Jouissif et savoureux, tout comme un steak frites de la cantine finalement.

    Christine & The Queens, une performance aussi envoûtante que déroutante

    Impossible d’être insensible à l’art de Christine & The Queens, encore moins à son dernier show. Pour notre seconde journée à Rock en Seine, l’artiste a offert un envoûtant live de plus d’une heure et demie, entre performance radicale, politique et ovni artistique.

    Dans le sillage de la sortie de son nouvel album paru en juin dernier Paranoia, Angels, True Love, Christine and The Queens s’est vu programmer sur la mainstage pour son premier Rock en Seine, qui a par ailleurs failli être annulé en raison d’un accident survenu quelques heures avant le show.

    Un gigantesque escalier fait de bois et d’étranges statues antiques... la scénographie a rapidement posé l’atmosphère d’un spectacle à la limite de l’opéra rock et qui a vu Christine and The Queens offrir une palette d’émotions, entre extrême sensibilité, rage et joie explosive. L’artiste fera tomber sa veste noire dès les premiers titres, laissant apparaître son torse. Geste fort et symbolique, quand on connait les polémiques générées par son coming-out transgenre, et plus globalement la lutte quotidienne pour la pleine intégration et reconnaissance des droits des personnes trans dans la société française.

    Wet Leg, la petite maison dans la prairie du rock  

    Dernier coup de cœur pour les Anglaises originaires de l’île de Wight, Wet Leg. Celles qui ont su affoler le petit monde du rock ces dernières années et qui sont maintenant bien arrimées sur le bateau du succès, après avoir assuré les premières parties du Love On Tour d’Harry Styles.

    Dégaine petite maison dans la prairie version foutraque et rock’n roll - on notera la jupe Harley Davidson plutôt classe (un futur must have ?) - et attitude contrastant parfaitement avec leurs bouilles enfantines : « Ça va motherfucker ? ». Un plaisir de les retrouver un an après leur timide passage à We Love Green. La formation a pris en assurance, s’est musclée musicalement, et les fans, eux, semblent s’être multipliés.

    Pluie battante, à se demander si le duo féminin ne l’a pas invoquée, criant sur Ur mom à s’en décrocher les cordes vocales et exhortant le public à faire de même. La pelouse se vide progressivement, mais les plus valeureux campent encore devant la scène Cascade, attendant le tube Chaise Longue, juste après s’être déhanchés sur Wet Dream. Imprévisibles et débordantes d’énergie, les deux compères de Wet Leg nous ont démontrés une fois de plus qu’elles incarnent le présent et l’avenir du rock britannique.

    Crédits photos : Jérémy Authier pour Jack.

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