2022 M10 3
Il y a des groupes qui, dès le départ, établissent une règle à laquelle ils ne dérogeront pas : celle de ne jamais faire le même album. Un principe auquel se tiennent les Yeah Yeah Yeahs, le groupe mené par Karen O depuis ses débuts fracassants, quand la formation jouait des épaules aux côtés des Strokes et des White Stripes. À ce moment-là — au début des années 2000 — la scène indie américaine secoue le rock dans tous les sens, et Yeah Yeah Yeahs, avec son premier album « Fever to Tell », a les deux pieds dans le plat du revival. Mais ça, c’était il y a 20 ans.
Entre temps, la formation a continué de pondre des bons disques — sauf « Mosquito » en 2013, inégal — et Karen O a profité des dernières années pour mettre du vernis sur sa carrière solo — elle a sorti les albums « Crush Song » en 2014 et « Lux Prima » en 2019 et a aussi composé pour le cinéma. Tous les membres du groupe ont eu des enfants. Brian Chase a monté un label de jazz avant-garde. La vie, en somme. Et tout cela nous amène donc à 2022, et plus précisément au vendredi 30 septembre, date de sortie de « Cool It Down » après une pause de presque 10 ans.
Au-delà d’être une référence à une chanson du Velvet Underground sortie sur le meilleur disque de la bande à Lou Reed, « Cool It Down » ressemble à un disque de transition, comme si cette pause avait permis à Yeah Yeah Yeahs d’être à l’aise avec l’idée de ne plus avoir 23 ans. Ce disque est tiraillé entre la piste de danse et le coin du feu, avec des chansons calmes et lentes qui laissent de la place aux mélodies et aux atmosphères vaporeuses (Blacktop, Spitting of The Edge of the World, Lovebomb, Mars) et des moments beaucoup plus vifs où Yeah Yeah Yeahs se refamiliarise avec son passé (Wolf, Fleez, Burning). Au New York Times, le guitariste Nick Zinner a expliqué que Karen n’avait pas envie de faire un disque qui sonne comme si Yeah Yeah Yeahs était un groupe de rock enfermé dans une pièce. « Pour elle, explorer des terrains inconnus est plus excitant ».
Le disque, qui aborde des thèmes comme la crise climatique — l’album a été en partie enregistré à Los Angeles durant les feux qui ont ravagé la Californie en 2021, navigue sur des terrains synthétiques et dystopiques. Lovebomb donne la sensation d’être dans un vaisseau spatial qui se déplacerait sous l’eau, Wolf oscille entre M83 et Florence + The Machine, Fleez fait entrer les basses dans la partie et Mars offre une conclusion lumineuse et poétique. Le disque dans sa globalité est teinté d’une synth-pop mystique et postmoderne où les genres et les ambiances s’entremêlent pour façonner des mélodies fragiles, douces et phosphorescentes. « Cool It Down » est presque indéfinissable. Et ça tombe bien puisque qu’avec ce disque, les Yeah Yeah Yeahs voulaient explorer le futur. De là à dire qu’ils sont en train d’inventer la pop de demain, il n’y a donc qu’un pas qu’on ne franchira pas.
Mais sur cet album, les Américains sont partis en expédition. Ils reviennent avec des morceaux sublimes et hypnotiques mais aussi avec des minis tubes en puissance. Un album de transition vers une nouvelle ère pour Yeah Yeah Yeahs, certainement plus douce, mais pas plus calme pour autant.
Crédit photo : @Jason Al-Taan