Jean-Louis Brossard : “Comme le public des Trans, j’aime découvrir les groupes sur scène”

Cofondateur des Transmusicales en 1979, dont la nouvelle édition se déroule du 6 au 10 décembre, Jean-Louis Brossard assure encore et toujours la programmation du festival rennais aujourd'hui. Par simple habitude ? Non, plutôt par passion, le Breton ayant conservé cette faculté à découvrir les groupes sur qui personne n’a encore pensé à s’extasier. Rencontre.
  • Chaque année, les Trans accordent une création à un artiste en résidence. Cette année, le choix s'est porté sur Yamê. Pourquoi lui ?

    Un copain tourneur m’a envoyé une vidéo de ce garçon, et ça m’a tout de suite emballé. Sa gueule, sa voix, le charisme qu’il dégage, ses facultés au piano : tout me plaisait. J’ai immédiatement ressenti de l’émotion, donc j’ai décidé de faire confiance à mon ressenti. Dans la foulée, j’ai demandé à Yamê s’il pouvait m’envoyer deux titres supplémentaires histoire de me faire une idée plus précise, et j’ai illico était conforté dans mes convictions. Bien sûr, il n’a pas encore d’expérience en concert, mais c’est tout l’enjeu de cette création. Si tout est prêt à l’avance, ça ne sert à rien de faire une résidence. Là, il va pouvoir proposer une vraie création.

    Yamê s’inscrit dans une longue tradition, faisant suite à Fishbach, Stromae ou Zaho de Sagazan. Est-ce que cette volonté de découvrir chaque année un nouveau nom important de la scène musicale française provoque en toi une certaine pression ?

    Soyons honnête : la pression est avant tout pour l’artiste. Moi, j’ai 80 autres artistes présents lors du festival que je compte défendre bec et ongles. La seule mission que je me donne par rapport à Yâmé, c’est de venir le voir deux fois : la première fois, lors de la générale, le mardi, aux côtés de l’équipe des Trans et de quelques potes ; la seconde, le dimanche, pour le dernier concert des cinq concerts. J’aime voir à ce moment-là comment les choses ont évolué.

    As-tu l'occasion de voir tous les groupes sur scène avant de les programmer ?

    Non, évidemment. Autant, lorsque je me rends sur un festival, je note et repère tout ce que je veux découvrir, autant, aux Trans, j'aime être comme le public et découvrir les groupes sur scène. Je détesterai être dans la situation inverse.

    Tu disais avoir programmé plus de 80 artistes cette année. Te souviens-tu du premier nom que tu as bouclé pour cette nouvelle édition ?

    Je pense que ça doit être Huush, un groupe rennais que j’ai l’occasion de suivre de plus ou moins loin grâce à l’Ubu, une salle locale où on fait le pari ou non de soutenir un groupe de la région lors des Trans. Là, sans doute que Huush a créé un déclic, déclenché une envie en moi pour développer le reste de la programmation.

    Cette envie, c’était un retour à une programmation assez rock ?

    Cette volonté de programmer du rock n’est jamais partie, c’est juste que les gens notaient la présence de différents DJ’s au sein du line-up et ne retenaient que ça, alors qu’il y a toujours eu de l’électronique aux Trans… Pour tout dire, je ne pense même pas avoir le recul sur les tendances passées, ni l’envie de me justifier : pour moi, un artiste est un artiste, même si j’ai très hâte de voir Moja, un duo japonais basse-batterie aux intentions assez punk, ou Hanaa Ouassim, qui propose quelque chose de complètement nouveau, aussi bien dans la voix ou que dans les textures électroniques. En 2023, c’est quand même fou d’être capable de faire une telle proposition.

    « L’avantage de travailler avec de jeunes groupes, c’est aussi de ne pas tomber dans le piège de la surenchère des cachets d’artistes, de surpayer les groupes. »

    On dit que les groupes éprouvent de plus en plus de difficultés à tourner à travers le monde. C’est une réalité à laquelle tu te confrontes au moment de composer la programmation des Trans ?

    Ce n’est malheureusement pas nouveau. L’année dernière, par exemple, on a galéré à faire venir un groupe congolais. En dernière minute, on avait dû refaire les visas et reprendre d’autres billets d’avion… Mais dans l’ensemble, on s’en sort plutôt bien. L’avantage de travailler avec de jeunes groupes, c’est aussi de ne pas tomber dans le piège de la surenchère des cachets d’artistes, de surpayer les groupes. En général, pour un groupe anglais de quatre musiciens, on va proposer entre 2000 et 3000 euros, en plus de l’aller-retour, de l’hôtel et de la nourriture. En fin de compte, le pire qui puisse se produire, c’est de vouloir booker un groupe qui soit déjà en tournée. Ça m’était arrivé à l’époque avec The XX, que j’avais découvert au Great Escape de Brighton. Au moment de boucler le contrat, le groupe apprend qu’il peut aller faire 20 dates aux États-Unis, on ne pouvait pas lutter…

    Tu citais le Great Escape. Quels autres festivals spécialisés dans la découverte continuent de te fasciner aujourd’hui ?

    Dernièrement, je suis allé au festival Focus Wales, au Nord du Pays de Galles. C’était tout petit, les concerts se déroulaient majoritairement dans des cafés, mais j’ai aimé la façon dont tout se mélangeait, la manière dont différents groupes asiatiques pouvaient être relayés par des formations venues du Portugal ou d’ailleurs. Le Great Escape est toujours intéressant, avec plus de 400 artistes, mais c’est vrai qu’il y a moins d’artistes étrangers depuis le Brexit, et donc beaucoup plus de R&B, un genre très apprécié en Angleterre. Il y a aussi Eurosonic, en Hollande, même si la programmation résulte de choix de radio, donc on se confronte souvent à des groupes mainstream assez abominables. Je ramène toujours 2-3 artistes de ce festival, mais sur 400 propositions, ce n’est finalement pas beaucoup.

    Avec SoundCloud, les plateformes de streaming ou même les blogs, j’imagine qu’il est plus facile pour toi de découvrir des artistes…

    Oui, et en même temps, j’aime me prendre des claques complètement par hasard. Portishead, par exemple, je l’avais découvert chez une copine vivant en Angleterre. Elle était journaliste et avait repéré ce groupe avant tout le monde. Glory, quelle tuerie tout de même ! Tout de suite, j’ai eu envie de leur proposer de venir jouer leur premier concert face à un public aux Trans. Est-ce que je suis nostalgique de cette période ? Non, c’est juste qu’avant, tout passait par le son, on avait souvent aucune idée de ce à quoi ressemblait tel ou tel artiste, on se fiait simplement à la mélodie.

    Concernant la programmation des Trans, quels artistes as-tu particulièrement hâte de voir sur scène cette année ?  

    Sans trop savoir pourquoi cette formation plutôt qu'une autre, je dirais Son Parapluie, pour les orchestrations à la The Divine Comedy, ou pour la présence d'Armelle Pioline, que j'avais découvert il y a longtemps au sein d'Holden, un groupe culte pour les fans du label Lithium. Sinon, je dirais également les Dynamite Shakers, de jeunes vendéens qui, après avoir longtemps repris des groupes comme les Dogs ou les Flamin' Groovies, ont développé un rock garage beaucoup plus affirmé.

    Crédits photo Une : Richard Dumas.

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