Inflation : les petits festivals sont-ils menacés de disparition ?

Alors que s'ouvre la saison des festivals, deux études présentées la semaine dernière au Printemps de Bourges ont confirmé ce que l'on savait déjà depuis l'été dernier, à savoir que la reprise post-Covid est difficile pour beaucoup d'événements musicaux mis en danger par la hausse continue des coûts, la baisse de la fréquentation du public et la raréfaction des subventions.
  • Décidément, l'inflation n'en finit pas de bouleverser l'économie de la musique enregistrée et des concerts. On a déjà évoqué ces derniers mois la flambée des prix du vinyle, celle des places de concerts, et les artistes obligés d'annuler des tournées, mais on n'avait pas encore abordé les difficultés des festivals, qui ont renoué l'an dernier avec le public après les deux années calamiteuses de la crise sanitaire.

    Pour être plus précis, on devrait dire que, comme d'autres secteurs culturels (cinéma, théâtre…), ils ont renoué avec seulement une partie du public. C'est l'un des principaux enseignements inquiétants de deux études présentées au Printemps de Bourges la semaine dernière.

    Le 20 avril, le CNM (Centre National de la Musique) analysait ainsi l'évolution de la situation des festivals de musiques actuelles en France entre 2019 et 2022, et dressait le constat que tout augmente… sauf le nombre de billets vendus, en baisse de 5% sur les 68 festivals étudiés, ce qui cache probablement de profondes disparités entre petits et gros événements (on y revient plus bas).

    Pour en avoir la preuve, il suffit de jeter un œil à la différence entre les recettes et les dépenses des festivals : ceux dont le budget est inférieur à 500 000€ voient leurs recettes augmenter de seulement 11%, tandis que les dépenses augmentent près de deux fois plus (19-20%). Rien de tel pour les festivals dont le budget est supérieur à 500 000€, et dont les comptes sont plus proches de l'équilibre.

    Autrement dit, tous les coûts explosent, notamment le budget artistique (+21%), la communication (+22%), devenue cruciale pour exister dans un contexte de concurrence exacerbée, et surtout les assurances (+49%) - pas rien quand on sait que plusieurs festivals (Eurocks, We Love Green…) ont été frappés par d'énormes intempéries liées au changement climatique – et les prestations techniques, qui affichent 134% (!!!) de hausse, en raison de la pénurie de main-d'œuvre sur certains postes.

    Face à cette situation, ce n'est évidemment pas une augmentation moyenne de 10% du prix des billets qui suffit à couvrir les frais. Et l'on apprend en lisant l'étude que les factures ne peuvent être payées que grâce à des sponsors de plus en plus sollicités (+21%), et surtout des aides exceptionnelles de l'Etat (+125%) et du CNM (+167%) liées au Covid.

    Or, qui dit exceptionnel, dit que ces subventions ne vont pas durer dans le temps. Traduction : sans elles, le seul moyen de survivre sera de faire exploser le prix des billets, avec le risque de perdre le public... et d'alimenter un cercle vicieux.

    Et puisque l'on parle du public, son renouvellement générationnel crée de nouvelles exigences de plus en plus coûteuses dans le contexte actuel : cité par l'AFP, le directeur du Printemps de Bourges Boris Vedel explique "qu'avec une génération dans l'image, il faut qu'un spectacle soit “instagrammable”, avec lumières et effets spéciaux, d'où toute une machinerie", ce qui a également un impact écologique. Mais c'est un autre sujet.


    La veille de la présentation du CNM, le SMA (Syndicat des Musiques Actuelles) avait lui dévoilé son "Plaidoyer pour des festivals indépendants" face à la concurrence des géants du secteur. Le SMA a interrogé les festivals indés membres du syndicat et les données sont édifiantes.

    Pour ces événements de taille plus modeste, les cachets des artistes ont quasiment doublé depuis 2015 (+95%), tandis que les subventions des villes (-29%), des agglomérations (-34%), des départements (-28%) et des régions (-19%) montrent que la défense de la diversité musicale est la dernière priorité de beaucoup de politiques locaux, forçant les événements à se tourner vers des partenaires privés (+72%).

    Et comme on le sait déjà depuis l'été dernier, ces petits et moyens festivals souffrent davantage que les gros depuis la reprise post-Covid : en 2022, ils sont 38% à avoir vu leur fréquentation baisser de 25% en moyenne par rapport à 2019, avec des écarts énormes allant de 18% à 50%.

    À la fin de sa présentation, le SMA rappelle d'ailleurs les chiffres publiés par le CNM en octobre dernier : -18% de recettes de billetterie pour les festivals en 2022 par rapport à 2019, et même -34% à -39% pour ceux dont la jauge est inférieure à 4000 personnes. À l'inverse, les 50 plus gros festivals affichent un bilan positif par rapport à 2019…

    Des inégalités confirmées aussi par le Prodiss (Syndicat national des producteurs, diffuseurs, festivals et salles de spectacle musical et de variété) en septembre dernier dans son bilan annuel des festivals : 54% des 47 festivals étudiés ont constaté un taux de remplissage en baisse en 2022, alors que la hausse des coûts impose justement de faire quasiment le plein pour rentrer dans ses frais.

    Une mission de plus en plus impossible qui a des conséquences graves et immédiates : sur ces 47 festivals, "8 d’entre eux, soit tout de même 17% de l’échantillon, jugent assez ou très probable le fait que la tenue de leur prochaine édition soit compromise."

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