Le meilleur de la pop chinoise selon Bon Voyage Organisation

  • Adrien Durand est un mec sympa. En plus de nous parler du dernier album de sa formation, de son respect pour Zappa et de sa volonté de rompre avec les musiques occidentales, le leader de BVO nous a concocté une playlist spéciale Chine.

    À l’écoute du nouvel album de Bon Voyage Organisation (« Jungle ? Quelle jungle ? »), ouvertement tourné vers la Chine, aucun doute : Adrien Durand était le mieux placé pour sélectionner ce que la pop chinoise a de plus fascinant, mais aussi pour nous donner son avis sur l’avenir de la musique. Forcément tranchant.

    Pour décrire Bon Voyage Organisation, tu parles souvent de concept musical. Qu’est-ce que tu entends par là ?

    C’est une façon pour moi de dire que l’on ne cherche pas à coller à un genre particulier, mais plutôt à raconter une histoire par l’intermédiaire du développement d’une esthétique. C’est une démarche progressive, qui s’inscrit dans la longueur. Ce qui peut paraitre assez incompatible avec une époque où tout nous pousse à prendre des décisions dans l’instant.

    Sachant que tu réponds à chaque fois aux interviews, BVO, au final, n’est-ce pas une démocratie… chinoise ?

    Je vois BVO comme un équipage où chacun peut faire confiance aux autres pour amener la musique là où elle souhaite aller. Comme dans tout équipage, chacun a son rôle. Je crois qu’il est difficile d’établir un dialogue créatif avant d’avoir compris le vocabulaire d’un projet ou celui des musiciens avec lesquels on y participe. Et puis, il faut le dire également : j’ai la nette impression que, dans la musique, les meilleures idées sont souvent les plus radicales, et la démocratie, telle qu’elle est envisagée aujourd’hui, ne permet pas ce genre de radicalité.

    « Parler de nouvelle scène française, c’est un peu une hérésie au 21ème siècle. »

    Si je te dis que BVO est le parfait mélange entre une certaine chanson française et des rockeurs un peu fous comme Zappa ou Soft Machine ça te paraît juste ?

    J’adore autant Zappa que Soft Machine, mais je pense que BVO s’inscrit plutôt dans la démarche du premier, en s’amusant à jouer des formats, à essayer de détourner les codes. Un peu comme ce que pouvaient faire les Monty Python ou Jean Yanne et Michel Magne.

    La plupart des médias associent souvent BVO à la nouvelle scène pop française. C’est quelque chose qui t’ennuie, j’imagine ?

    Selon moi, parler de nouvelle scène française est un peu une hérésie au 21ème siècle. Je crois plus à l’association d’artistes par genres musicaux. Nouvelle scène pop française, ça n’a pas beaucoup de sens pour moi. Les groupes auxquels j’aimerais être associés sont ceux qui s’exportent et s’écoutent au-delà des frontières de notre pays. Par exemple, je suis fasciné par La Femme et leur succès bien mérité à l’étranger…

    C’est aussi ton cas, non ? Je crois que BVO est davantage reconnu hors de France…

    Je ne suis pas sûr que l’on puisse parler de reconnaissance, c’est un bien grand mot. Les incarnations précédentes de BVO (Les Aeroplanes et Bon Voyage) ont été signées aux États-Unis puis en Angleterre, où je suis plus identifié par un certain milieu. Ce qui est sûr, en tout cas, c’est qu’on a été joué sur BBC6 avant de passer sur Nova, et que les pays anglo-saxons sont plus réceptifs à des expériences musicales singulières comme celle de BVO.

    Il y a un côté très cinématographique dans tes morceaux. Y’a des réalisateurs qui te feraient rêver pour composer une B.O. ?

    William Friedkin, en tout premier lieu. Il est vraiment excellent en scène de genre et j’adore les exercices de style. Idem pour Nicolas Winding Refn, qui m’a complètement bluffé avec Only God Forgives, alors que j’avais trouvé Drive un peu attendu, voire sirupeux. Comme quoi, je suis pareil en cinéma qu’en musique : j’aime les choses radicales.

    « La mondialisation serait une réussite si elle nous poussait à la curiosité. »

    Il y a également un rapport très fort au voyage dans tes morceaux. Cette volonté d’ouvrir les frontières de la pop, d’aller puiser l’inspiration dans la musique de pays encore méconnus en Occident, c’est une démarche politique ?

    J’aimerais beaucoup que la musique de BVO pousse les gens à s’intéresser à autre chose, qu’ils ne parlent pas de ma musique mais de ce à quoi elle peut leur renvoyer. Honnêtement, j’adorerais lire un jour un article sur BVO qui dirait : « On ne va pas vous parler de cet album, mais voici cinq disques à découvrir si vous l’avez aimé. » Et là, il y aurait aussi bien « Sauver l’amour » de Balavoine qu’un disque de Miles Davis et d’Electric Light Orchestra. Mais cela pourrait aussi bien être un index de destinations. J’adore parsemer des indices dans les textes et y écrire mon amour pour le folklore d’ailleurs. Nous avons nos grands chanteurs, les Anglais et les Américains les leurs, mais les Éthiopiens, les Polonais, les Haïtiens et tant d’autres aussi … Il est impératif de s’y intéresser, la mondialisation serait une réussite si elle nous poussait à la curiosité.

    Pour « Jungle ? Quelle jungle ? », tu puises une fois de plus ton inspiration dans les musiques traditionnelles chinoises. D’où vient cette fascination ?

    Il y plus d’un milliard de Chinois avec des valeurs et un mode de vie que l’on peine à comprendre par manque de curiosité et d’éducation. Un milliard, c’est déjà fascinant en soit… Le futur s’invente en dehors de l’Occident et je suis toujours autant passionné qu’avant par cette augmentation de la présence chinoise en Afrique. L’État chinois offre des prêts à 0% aux citoyens chinois prêts à partir s’installer en Afrique. Il y a là un métissage culturel qui s’opère dont nous ne savons que peu de choses mais qui me passionne absolument.

    Tu penses que le futur de la musique passe nécessairement par les musiques non-occidentalisées ?

    C’est déjà le cas depuis les années 1950, voire 1940. La musique du 20ème siècle a été marquée par la culture afro-américaine, bien que ces codes aient été vite assimilés et parfois galvaudés par d’autres… C’est une simple question de démographie et d’incapacité du monde occidental à faire des propositions artistiques excitantes. En tout cas, pour moi, certainement pas aussi excitantes que la musique électronique actuelle de Lagos ou de Soweto …

    Crédit photo : Lionel Rigal.

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