Swing est-il le nouveau héros du rap belge ?

Participer à l’essor populaire du rap belge au sein de l’Or du Commun ? Check. Enregistrer un projet commun avec Le Motel ? Check. Réaliser un duo avec Angèle ? Check. Jamais vraiment absent depuis ses débuts sur la scène bruxelloise en 2013, Swing passe enfin le cap de l’album solo avec « Au revoir Siméon », un premier long-format qu’il décortique au cours d’une interview où il est question d’hôpital psychiatrique, de Lil Yachty et de la nécessité de rester de grands enfants pour créer.
  • Pourquoi considérer « Au revoir Siméon » comme ton premier album ? On aurait pu penser que « Marabout », sorti en 2018, qui contenait dix titres, ait été envisagé comme tel, non ?

    Disons que « Marabout » était une découverte, une manière de savoir ce que je pouvais faire en solo. Depuis, il s’est écoulé 5 ans, j’ai gagné en confiance, en maturité, et j’ai l’impression que toute cette expérience se concrétise sur « Au revoir Siméon ». À l’époque, être solo était plus une recréation par rapport à la musique que je faisais avec l’Or du Commun. Désormais, j’ai envie de mettre cette approche en valeur.

    Il y a aussi ce titre d’album, qui mentionne ton vrai prénom et qui donne la sensation que tu souhaites laisser le passé derrière toi…

    D’une part, je voulais un titre qui interpelle et pousse chacun à trouver sa propre explication. Aussi, j’y ai vu un moyen de représenter cette part d’innocence, cet enfant que l’on est encore et que l’on laisse parfois derrière nous pour surmonter certains obstacles et évoluer.

    Cette transition de l’adolescence à l’âge adulte a été difficile pour toi ?

    Non, je ne dirais même que j’ai été assez privilégié dans la vie, dans le sens où pas mal de choses m’ont permis de conserver cette âme d’enfant. À commencer par le fait de faire de la musique, d’en vivre. Pour moi, la créativité est vraiment liée à l’enfance, à des moments très simples et purs à travers lesquels je peux maintenir une certaine innocence. J’en suis très fier, même si ce rapport aux choses peut te rendre inapte au moment d'affronter différentes difficultés, que soit dans l’organisation de ton quotidien, pour gérer l’administratif ou pour encaisser les coups de bas que la vie peut nous asséner. Parce que, oui, c’est bien joli de garder cette innocence, mais ce n’est clairement pas elle qui te protège quand tu te confrontes à des évènements difficiles, qui ne sont pas toujours de ton ressort.

    Est-ce qu’il n’y a pas également, derrière ce titre d’album, une certaine forme de nostalgie ?

    Non, pas vraiment. J’ai passé la trentaine et je continue de regarder en arrière sans aucun regret ou mélancolie. Je pense sincèrement que les adultes restent de grands enfants. C’est juste qu'on n’a pas tous le luxe de pouvoir le rester.

    « Comme j’écoute finalement assez peu de rap aujourd’hui, j’étais très heureux de pouvoir me challenger avec quelqu’un comme Crayon. »

    À l’adolescence, tu avais déjà cette faculté à formuler tes émotions, ces choses très intimes que tu révèles sur « Au revoir Siméon » ?

    Mes deux parents travaillant dans la santé mentale, au sein d’un hôpital psychiatrique, j’ai forcément été élevé dans un univers où la communication est ultra présente, où l’on parlait avec mon père de choses qui sont de l’ordre de la théorie. Inévitablement, ça a eu un impact sur ma manière de faire et de penser ma musique, avec des textes qui ont toujours un fond assez poétique ou imagé. Je ne suis jamais dans le premier degré.

    Est-ce qu’il y a également des albums ou des rencontres qui t’ont encouragé à assumer cette approche de l’écriture, voire même de la mélodie, ces dernières années ?

    Crayon, c’est indéniablement ma grande rencontre musicale. On avait déjà bossé ensemble sur l’EP d’avant, « ALT F4 », mais on a eu l’occasion de pousser les curseurs encore plus loin sur « Au revoir Siméon ». Il ne vient pas du rap, et c’est intéressant d’avoir pu créer un point de rencontre, d’avoir bénéficié de sa vision, plus pop, plus pointue, avec des références hyper larges sur les musiques électroniques et acoustiques. De mon côté, étant donné que je m’ennuie très vite et que j’écoute finalement assez peu de rap aujourd’hui, j’étais très heureux de pouvoir me challenger avec quelqu’un comme lui.

    J’ai l’impression qu’il y a aussi chez toi l’envie de bosser avec le même producteur : il y avait Vax1 pour l’Or du Commun, Le Motel pour « Marabout », Crayon aujourd’hui…

    J’ai besoin que mes projets aient un sens musicalement, qu’un univers mélodique cohérent trouve sa place dans ce que je propose. C’est vrai aussi que les albums que j’adore ont toujours une direction artistique hyper marqué. À l’image du dernier album de Lil Yachty. Le mec faisait de la trap d’Atlanta, un peu débile, et là, il fait un choix inattendu, s’entoure des bonnes personnes et livre un disque de rock progressif hyper stylé.

    Tu as l’impression d’avoir la même liberté sur le plan créatif ?

    La liberté, c’est aussi celle que l’on se donne. Je pourrais chercher à faire quelque chose de plus calibré, mais je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur chemin à emprunter. La musique accompagne ma vie depuis plus de 10 ans, et j’ai envie que ce soit encore le cas pendant de nombreuses années. Tout l’enjeu est donc de maintenir cette excitation, ce truc enfantin dont on parlait. J’ai envie de pousser des curseurs assez loin pour avoir l’impression d’être allé au bout de quelque chose à chaque projet.

    « Pour moi, le plafond de verre est déjà percé dès que tu parviens à vivre de ton art. »

    Tout de même, tu ne crains jamais d’avoir atteint ce fameux plafond de verre, de ne pas réussir à aller plus haut que ce que tu as déjà connu ?

    Bien sûr, j’aimerais vivre de grandes tournées, jouer dans des Zéniths, et je ferai tout pour y arriver. Cela dit, je ne le vivrais pas mal si ça ne se passait pas. Pour moi, le plafond de verre est déjà percé dès que tu parviens à vivre de ton art, avec ce truc qui fait que ta vie devient complètement différente de la très grande majorité des gens. À ce moment-là, j’ai déjà gagné d’une certaine manière.

    Parfois, tu sens que tu t’éloignes de la musique ?

    Je ne sais pas si c’était dû au confinement ou aux évènements de la vie, mais la musique, pendant un temps, n’était plus placée en tête de ce que j’avais besoin pour être heureux. Fatalement, j’en faisais moins, ou étais davantage frustré par ce que je pouvais écrire. J’avais l’impression d'écrire de belles phrases, mais peu habitées, pas assez basées sur l’émotion, pas du tout en phase avec ma sensibilité. C’était une période un peu cheloue.

    Comment tu sais que tu tiens le bon mot, la belle phrase ?

    C’est compliqué... Disons que c’est également lié à la mélodie. Parfois, j’étais fier de mon texte, écrit spécialement pour une instrumentale, puis Crayon arrivait au studio, changeait les accords et les mots ne sonnaient plus de la même façon. C’était déroutant, mais ça m’a finalement appris à faire sonner différemment certains mots, certaines phrases. En tant que rappeur, je suis vachement attaché à la rime, à la technique. Là, j’ai appris à aller vers des phrases simples, pas forcément incroyables, mais originales. Suffisamment en tout cas pour résonner en moi.

    La difficulté, j’imagine, c’est aussi de devoir écrire davantage que lorsque tu es en groupe, d’adapter l’écriture en fonction des moments où tu passes du rap au chant, et inversement…

    La vraie nouveauté, c'est surtout d’avoir commencé beaucoup de ces morceaux sur un piano. C’est une autre manière d’écrire que de se fier à une batterie ou à un beat. Forcément, ça influence l’écriture, l’interprétation. Pour le reste, disons que je chante finalement depuis toujours. Dès les premiers morceaux de l’Or du Commun, il y a des passages chantonnés. Aujourd’hui, ça reflète surtout mon approche. Je n’ai pas souvent envie de faire un morceau ou un couplet purement rap, je varie continuellement entre le rap et le chant, entre cette volonté de trouver la belle rime et cette recherche de l’émotion. D’après moi, c’est quelque chose de plus original, et ça correspond aux mélanges que j’aime écouter.

    Pourquoi avoir choisi de conclure l’album avec 02:22 ?

    C’est moins lié au texte qu’à la mélodie, à ce côté gospel, simple, beau, minimaliste malgré ce grand synthé à la James Blake qui arrive en bout de course. Il y a moins d’artifice dans cette chanson, je suis un peu plus à nu et j’ai trouvé que c’était la plus belle des fins. 02:22, c’est aussi un morceau qui n’aurait pas pu voir le jour quand on a commencé à bosser sur l’album il y a un an et demi. Il reflète vraiment toutes les étapes du processus d’enregistrement, tout ce chemin parcouru.

    Est-ce qu’il y a une outro ultime pour toi ?

    Je dirais Purity d’A$AP Rocky et Frank Ocean, qui vient conclure l’album « Testing ». J’ai dû la réécouter deux ou trois fois avant de prendre la mesure de cette chanson, mais quelle belle proposition !

    A lire aussi