De L'Or du Commun à Angèle, Swing nous a raconté son odyssée

Sur son deuxième EP (« ALT F4 »), Swing fait appel à Angèle, Némir ou différents producteurs (Duñe, Crayon, Twenty9) et c'est un sacré cap passé, entre le rap fidèle à celui qu’il développe au sein de L’Or du Commun et des mélodies plus mélancoliques à la James Blake. Rencontre.

Le premier album de L’Or du Commun est sorti il y a un peu plus d’un an. Pourquoi avoir choisi de revenir avec un deuxième EP en solo ?

Quand « Marabout », mon premier projet en solitaire, est sorti début 2018, j’ai réalisé que ça m’avait beaucoup apporté musicalement. J’avais découvert de nouvelles choses sur ma voix, ma musique, et ça m’avait été bénéfique en tant qu’artiste. Après la sortie de « Sapiens » avec L’ODC, l’envie de réécrire en solo est revenue, donc je m’y suis attelé. « Marabout » a deux ans maintenant, l’exercice était donc intéressant.

L’unique projet solo de Primero date de 2017, tandis que Loxley n’a jamais sorti d’EP en son nom. Ça veut dire que tu es le plus bosseur du trio ?

Ah ah ! C’est surtout que j’avais des titres qui allaient bien ensemble et représentaient bien mon monde. En plus, « ALT F4 » ne contient que sept titres, ça ne m’a pas vidé artistiquement. Au contraire, ça a créé suffisamment d’envies pour m’inciter à revenir avec un projet plus long, encore plus pointu dans la proposition musicale.

Là, l’idée est clairement de t’affirmer encore un peu plus comme chanteur, non ?

En effet, on sent que c’est encore plus présent sur cet EP que sur « Marabout ». Mais c’est avant tout parce que j’ai été inspiré par les productions et qu’il y a moins de rap dans mes playlists actuellement, sans que ce soit un choix délibéré. J’ai essayé d’aborder cet EP avec l’esprit le plus ouvert possible, j’avançais selon l’inspiration, mais ça ne veut pas dire que je ne pourrais pas faire un soixante mesures de rap demain si j’en avais envie. Il suffit d’un projet de Kendrick pour me remettre dedans et me donner l’envie de rapper fort.

Tu as une grosse culture chanson ?

Mes parents écoutaient de la chanson française, notamment Alain Bashung. Mais ce n’est pas quelque chose qui m’inspire tant que ça à l’heure actuelle. Mes influences viennent davantage d’Angleterre ou des États-Unis, en chant comme en rap. J’aime l’entre-deux, comme Frank Ocean. C'est ce qui m’amuse le plus, ça donne un côté laboratoire lorsqu’on est en studio.

Cet EP, tu y pensais déjà au moment de composer « Sapiens » avec L’Or du Commun ?

Pas du tout. Je m’y suis mis fin mai, l’année dernière. Et il a été réalisé de façon très spontanée. J’arrivais sans rien en studio, ni prod, ni texte. Mais le processus a été très enrichissant. L’idée était d’essayer de boucler un son par jour, ou au moins d’avoir un refrain et un couplet que je pouvais peaufiner chez moi. Le but était aussi de travailler directement avec les producteurs. Duñe, Crayon, PH Trigano, ce sont de vrais compositeurs, très attentifs à chaque détail, c’était donc important d’être à leurs côtés quand ils avançaient sur une mélodie.

Au moment de se lancer en solo, est-ce que l’on se confronte davantage à ses complexes ?

Je n’ai pas énormément de peur musicalement. Un EP doit me faire évoluer, c’est le but principal. Là, je venais de rencontrer des gens avec qui j’avais envie de bosser et tout s’est fait à l’instinct. De toute façon, la réception de ton travail est hyper tributaire des personnes présentes en studio. Si j’avais réalisé cet EP seul dans ma chambre, il aurait été très différent. Parfois, tu as simplement besoin de gars qui te font comprendre que le mot que tu as choisi est le bon. Ça ne sert à rien de chercher à le complexifier ou de vouloir en utiliser un plus surprenant, plus inédit. Un mot entendu 400 fois peut susciter une émotion très forte s’il est bien posé et bien amené. Et le bon exemple, c’est N, le premier single. Je l’ai enregistré dès le premier jour, en une session. Ça m’a persuadé de continuer avec cette approche, basée sur l’envie et le plaisir.

Il y a une évidente noirceur qui se dégage de cet EP… Sans jouer au psychologue de bas étage, tu penses qu’elle vient d’où, cette mélancolie ?

Plutôt que noir, je préfère dire que cet EP est gris. Le problème est qu’on vit dans un monde où le gris fait penser au noir… Bref, disons que j’ai toujours été très porté sur les grandes questions philosophiques, autour de la vie, de la mort, de qui on est réellement, etc. Ces questions sans réponse m’obsèdent. Ça doit venir de mes études scientifiques, j’ai besoin de comprendre les choses.

Tu ne sembles pourtant pas être quelqu’un de pessimiste…

Dans la vie de tous les jours, ça ne transparaît pas. Mais c’est un réservoir illimité d’inspiration. J’aime ces thèmes-là, j’aime poser des questions sans donner de réponse. Parfois, j’aimerais pouvoir faire des morceaux plus funs, avec des jeux de mots cocasses, mais ce n’est pas la musique que j’ai envie d’incarner. En plus, je ne sais pas le faire, là où Caballero et JeanJass le font à merveille. Moi, j’aime Kendrick, James Blake et Frank Ocean : c’est logique, finalement, que j’aille sur ce terrain-là. D’autant que mes morceaux ne sont pas sombres dans l’idée d'être malsain, plombant ou dépressif. Au contraire, c’est sain de se poser ce genre de questions, ce sont des thèmes universels. Après tout, ma musique doit parler aux gens, ce n’est pas qu’un journal intime.

Le morceau avec Angèle est intéressant, dans le sens où ce n’est pas un tube à proprement parler. C’était voulu ?

Quand on fait le morceau avec Duñe, Crayon et Twenty9, Angèle n’est pas encore prévue. Mais quand j’ai trouvé la ligne de chant dans le refrain, sa présence s’imposait d’elle-même. Ça rendait service au morceau. Angèle, quand tu la connais, tu vois que ces ambiances froides lui vont très bien, et ça s’entendait déjà sur J’ai vu, avec Roméo. Là, elle est venue avec sa fraicheur et a posé sa voix sur ce piano un peu deep, à la James Blake. C’est peut-être ce qui l’a attirée : la possibilité de proposer autre chose, et pas de chercher le tube avec un morceau où elle assurerait un refrain efficace.

Tu n’as pas peur que l’on parle de ton EP uniquement parce que Angèle est dessus ?

En promo, c’est sûr qu’on va vouloir me parler de ça… Mais l’important, c’est que S’en aller n’est pas du Angèle. Sa présence est au service de la musique. Ceux qui vont venir à ce morceau parce qu’elle est présente vont se confronter à autre chose, et tant mieux si ça met en lumière le reste.

Avoir un aussi gros succès qu’elle, ça te plairait ou ça te fait peur ?

Je kifferais, mais ce serait un miracle avec la musique que je propose. Alors, oui, il y a des miracles, comme Kendrick Lamar qui arrive à plaire à tout le monde sans faire de concessions, mais bon… Je ne suis pas lui. Et je ne suis pas Angèle non plus : à aucun moment, elle ne joue un jeu ou force le trait. Elle est ce qu’elle représente, et ça marche. L’important, finalement, est de rester fidèle à ce qu’on est. Avec L’Or du Commun, par exemple, on aurait pu faire quarante versions d’Apollo, mais ce serait fatiguant ! D’autant qu’on ne dit rien de vraiment pertinent dans ce morceau…

Et Némir dans tout ça ? Artistiquement, on a l’impression que c’est presque évident que vous finissiez par vous rencontrer.

Dans le paysage musical actuel, Némir est très haut selon moi. Il en faudrait plus des artistes comme ça, sans limite, capable de passer de la bossa nova à la trap sans forcer. Avec la musique comme seul moteur. En plus, c’est une personne incroyable : on n’a pas eu besoin de se croiser dix fois pour avoir un lien et de vraies discussions. Alors, comme je sentais que l’EP était plus musical, j’ai pensé à lui. J’ai senti que ça pourrait lui plaire. La session à Paris était hyper cool.

La suite, c’est l’album ?

Le truc facile serait de faire un « ALT F5 », avec des couleurs plus positives, mais je n’ai pas de plan pour le moment. Là, je viens de construire une belle équipe, avec sept beatmakers/compositeurs différents, des mecs qui ne viennent pas forcément du rap. Ce serait sympa d’aller encore plus loin, mais c’est la musique qui décidera.