2022 M07 9
Si l’œuvre et la vie de The Space Lady devaient être un roman, ça serait sans aucun doute The Dharma Bums de Jack Kerouac. Comme les protagonistes du livre, Ray Smith ou Japhy Ryder pour ne citer qu’eux, Susan Dietrich au civil, a toujours combattu les conventions établies et cet « american way of life » abrutissant des années 50. De son Colorado natal jusqu’à Boston et San Francisco dans les années 80 et 90, puis dans le monde entier depuis 2013, la Dame Céleste a répondu à l’appel de La Route, pour mener sa vie d’artiste, inclassable, distillant sans cesse des messages de paix et d’amour.
Depuis sa naissance en 1947, Susan Dietrich baigne dans la musique. Fille d’une professeure de piano « très douée » et d’un altiste, elle voit ses parents donner de petits concerts ensemble aux quatre coins de la région. Jusqu’à son adolescence, elle se nourrit de musique classique avant de s’en écarter grâce à un artiste folk très obscur, Richard Dyer-Bennet. Il sera sa porte d’entrée à Joan Baez, Judy Collins et bien sûr, Bob Dylan. Dylan, lui, l’emmènera au rock et à la culture hippie. En pleine décennie 60, elle quitte donc sa petite bourgade direction Boulder, ville plus imposante, toujours nichée dans le Colorado.
Là-bas, elle embrasse ce mode de vie alternatif, boit les paroles d’un jeune homme débarqué de Harvard le temps d’une conférence, Timothy Leary. Fondateur du mouvement hippie, il est l’auteur de la célèbre maxime qui en résumait les trois commandements : « Turn On, Tune in, Drop out ». Avec la volonté de se rapprocher de l’épicentre de cette culture, elle se dirige tout droit à San Francisco, où sa sœur a élu résidence. Un beau jour, au milieu de ces années passées en totale immersion dans ce mode de vie — en plein cœur du district Haight Ashbury – Susan rencontre celui qui va devenir son mari, Joel Dunsany.
Par amour, elle le suit jusqu’à Boston. Débarquée en 1973, Susan se mue en The Space Lady pour la première fois et entame sa carrière de musicienne, au sein d’un groupe de quatre artistes que sa moitié a créé, les Blind Juggler. Auteurs d’une musique à cheval entre l’ambient et la noise, elle se fait remarquer avec une sorte de petit orgue électronique. Mais la formation n’obtient pas la reconnaissance escomptée et cette réalité matérialiste rattrape le couple. C’est ici que The Space Lady va trouver sa touche personnelle. Lorsqu’elle tombe sur un accordéon presque détruit, elle improvise des mélodies et pose sa voix par-dessus. Par contre, toujours pas de salle pour se produire.
En quête de spectateurs, Susan Dietrich a l’idée d’aller se produire en plein air. De musicienne de salle, elle devient musicienne de rue. Son public, urbain, se presse pour écouter ses chansonnettes. Si le couple peut désormais sommairement subvenir à ses besoins, The Space Lady va changer de dimension lorsqu’elle aura l’idée de réinterpréter des standards des années 50, 60 et 70, munie d’un tout neuf Casio MT-40 ; à l’image de Born To Be Wild des Steppenwolf. Un choix judicieux, puisque dans son chapeau à ailes façon Astérix surplombé d'une ampoule rouge qui fait partie intégrante de son « costume », les pièces et les billets se multiplient. Elle enregistre une première cassette qui s’écoule de manière conséquente.
Avec cet argent en poche, le couple et leurs deux enfants retournent sur la côte ouest, là où tout a commencé, à San Francisco. Mais en cette année 1984, avec ces nouvelles prérogatives économiques, les badauds n’ont plus le temps de niaiser dans les rues pour écouter Susan. Lassée, elle songe à tout arrêter. En rentrant chez elle, on lui souffle dans l’oreillette d’aller faire un tour au quartier Castro, chef-lieu de la communauté gay. Bingo, le casque se remplit de nouveau. Mieux, son nom circule dans les bouches des curieux. Plus fort encore, un ami lui propose d’enregistrer un disque dans son studio. Elle accouchera d’un troisième enfant, et de l’album « The Space Lady's Greatest Hits ».
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— The Space Lady (@The_SpaceLady) March 17, 2017
Avec ce disque très synthétique, cosmique et presque psyché, reprenant des titres comme Major Tom ou Ghost Riders in the Sky, auxquels il faut ajouter des compositions plus pop et personnelles, à l’image de Synthesize Me, le succès la fuit toujours. À un tel point que, Susan tire sa révérence, se sépare de Joel après 30 ans de vie commune, puis retourne dans son Colorado natal. Rideau, jusqu’à ce qu’internet prenne le relai. Au fur et à mesure que le deuxième millénaire avance, cet album se répand comme une traînée de poudre sur la toile. En l’espace de 10 ans, une communauté de fans se crée et envoie tout son amour à la Dame Céleste.
Gonflée par ce vent nouveau, elle rebranche alors son Casio et reprend ses tournées urbaines, avant même de s’enfermer dans de petites salles de concert. Son aura se propage encore, et se retrouve dans les compilations de John Maus qui la cite de bon cœur en influence, ou encore à l‘intérieur des « Songs in the Key of Z » de Irwin Chusid, un homme connu pour être l’un des pivots de l’outsider-music, ce genre où les artistes sont boudés ou snobés, comme The Shaggs par exemple. Ça vous rappelle quelque chose ?
Tout ça, jusqu’à ce qu’un label de Glasgow, Night School Records, la réhabilite en bonne et due forme. En rééditant « The Space Lady's Greatest Hits » en 2013, The Space Lady connaît une seconde jeunesse et prend définitivement son envol. Depuis, elle prêche sa synthpop lunaire aux quatre coins du globe, à tous les fidèles qui veulent bien l’entendre. De là, la Dame Céleste va (enfin) se mettre à enregistrer de « vrais » albums. « The Space Lady And Burnt Ones » via Castle Face en 2015, puis un autre, en 2018, « On The Street Of Dream », piloté par les défricheurs affûtés de Bongo Joe Records — main dans la main avec leurs amis de Mississippi Records.
Aujourd’hui, comme on peut le voir sur ses réseaux, cette compositrice-auteur-interprète a trouvé son rythme de croisière et continue de donner des concerts. Pendant ce mois de juillet 2022, elle sera même en Europe pour une batterie de shows. Une carrière en dents de scie, digne des pérégrinations des antihéros beats ou hippies, et qui confirme que l’adage « mieux vaut tard que jamais » n’est pas qu’une expression.