Connaissez-vous The Shaggs, le pire groupe du monde que Kurt Cobain adorait ?

Aux prémisses de la destinée des sœurs Helen, Dorothy (Dot) et Betty Wiggin, originaires de Fremont dans le New Hampshire, il y a une dose de mysticisme. Leur grand-mère était une cartomancienne qui avait cette manie de dire la bonne aventure en lisant les courbes hasardeuses formées par les lignes de la main. Comme cobaye, cette dame a un jour choisi son propre enfant, Austin Wiggin. 

Elle lui prédit trois faits. Le premier, la femme avec laquelle il se mariera portera le cheveu blond vénitien. Correct. Le deuxième, il aura des filles. Correct encore. Le troisième, elles fonderont un groupe promis à la célébrité. La force des choses et le temps passant ont rendu cette information juste aussi, mais la manière dont les événements se sont déroulés est elle, difficilement justifiable.

Sûr de la dernière prévision de maman, Austin a la bonne idée de forcer le destin. Il retire très tôt ses filles de l’école et leur fait monter le groupe : The Shaggs. Afin qu’elles s’améliorent, il les pousse à répéter du matin au soir. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que malgré les efforts, Helen n’est pas une batteuse née. Il en va de même pour Dot et Betty, toutes deux plus que moyennes à la guitare et au chant.

Tel un tyran, il les oblige à enregistrer un album en 1969. Cet unique « Philosophy of the World » n’est pas vraiment aussi bon qu’Austin le concevait, bien au contraire. Avec le mince espoir que la répétition des gestes arrangera les choses, il les booke chaque samedi dans le club local. En parallèle, la malchance s’invite à la danse. Le disque devait être pressé à 1000 exemplaires. Il n’en sortira que 100, le promoteur censé les fabriquer ayant disparu dans la nature. 

À défaut de connaître un succès commercial, ces chansons bossues, bizarres et presque attachantes vont tout de même trouver des amateurs. Dès le début des années 70, Frank Zappa déclare que les Shaggs sont « meilleures que les Beatles ». En dépit de cette reconnaissance isolée mais symbolique, Austin s’éteint en 1975. Dans la foulée du décès de leur père, les filles décident logiquement de dissoudre le groupe. L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais il y a un « mais »…

Dès 1980, Terry Adams et Tom Ardolino de NRBQ tombent par hasard sur une copie de « Philosophy of the World ». Ils adorent et s’empressent de le rééditer sur leur propre label, Red Rooster Records. La machine est alors relancée. Avec le temps, les Shaggs gagnent de nouveaux fanatiques à l’image du leader de Nirvana, Kurt Cobain, qui place leur album dans son top 5 des disques fétiches. Le célèbre critique musical américain Lester Bangs écrira même que The Shaggs est un « monument de l’histoire du rock’n’roll » — comme on peut le lire dans ce document.

Pour les sœurs Wiggin, le nouveau millénaire a débuté avec une triste nouvelle. En 2006, Helen est décédée. Dans un sens, cela n’a fait qu’amplifier les fascinations autour de leur légende. Par exemple, en 2011, le média américain Vulture rapportait qu’un potentiel biopic sur les Shaggs aurait pu voir le jour — finalement sans effet. Quelques années plus tard, des internautes ont souligné que les lyrics de leur chanson Who Are Parents? avaient en réalité un double sens. Dot, en personne, a dû nier les faits dans une interview pour Rolling Stone : « beaucoup d’enfants ne respectaient pas leurs parents et leur menaient la vie dure. J’essayais probablement de leur transmettre un message à travers ma musique. » 

Et puis il y a peu, l’impensable est arrivé. Parmi leurs fans, The Shaggs compte aussi Jeff Tweedy, leader du groupe Wilco. Ce band originaire de Chicago est chargé de l’organisation du Solid Sound Festival. Pour l’édition 2017, ils ont convaincu les sœurs Wiggin de remonter sur scène le temps d’un concert pour rejouer leur album à l’identique. Elles ont accepté et ont donc fait leur grand retour, 40 ans plus tard. À votre avis, quelle était la seule chose qui avait changé outre le fait qu’elles n’utilisaient plus leurs instruments ? Dorothy et Betty n’étaient plus ces jeunes filles aux ordres de leur père. Elles avaient mué en authentique rock stars.