2018 M01 26
Une affaire de famille. À la fin des années 1990, alors que le rap français vit supposément son âge d’or, celui-ci est fermement tenu par une clique réunie sous l’étendard du fameux Secteur Ä, une véritable équipée sauvage venant de différents ghettos bien identifiés : Garges, Sarcelles et Villiers-Le Bel. C’est depuis ces quartiers, tous situés dans le 9.5, que les membres du collectif participent à la rénovation du hip-hop hexagonal, selon des styles bien différents : les productions G-Funk de Doc Gyneco, les rimes bien ficelées de Passi, les fulgurances stylistiques d’Ärsenik, les délires mafieux de Stomy Bugsy, le reggae de Neg’s Marrons et, derrière les artistes, un manager. Son nom : Jérôme Ebella.
Boxe avec les mots. Surnommé Kenzy, ce dernier, autrefois manager du Ministère A.M.E.R., a l’intelligence de calquer le Secteur Ä sur le modèle du Wu-Tang Clan, et décline ainsi les activités du collectif en s’ouvrant à l’édition, à la production et au merchandising. À la fin des années 1990, le Secteur Ä devient ainsi une machine commerciale terriblement efficace : « Première Consultation » de Doc Gyneco s’écoule à 800 000 exemplaires, « Quelques Gouttes Suffisent » d’Ärsenik à 200 000, « Les Tentations » de Passi à plus de 500 000, etc. Bilan de l’affaire : plus de six millions d’albums vendus entre 1995 et début 2000.
Independace Day. Mais le Secteur Ä, ce n’est pas simplement des ventes astronomiques, ou des petites embrouilles internes. C’est aussi et surtout de multiples sous-collectifs (Bisso Na Bisso, Noyau Dur, notamment), une facilité déconcertante à s’inspirer des codes de la West Coast plutôt que de New York (chose rare dans le rap français à l’époque), des compilations fondatrices (les deux volumes de « Première Classe », essentiels) et deux concerts mythiques donnés à l’Olympia les 22 et 23 mai 1998 en l’honneur du 150ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage.
Vingt ans après, le Secteur Ä est donc de nouveau réuni pour une tournée évènement à travers la France. Histoire de rappeler à tout le monde que, oui, comme le prétendait Ärsenik sur son deuxième album : quelque chose a survécu.