Flashback : quand le rap français s'engageait contre les lois racistes

Au printemps 1997, Akhenaton, Passi, Stomy Bugsy, Rockin Squat et une dizaine d'autres rappeurs unissent leur force le temps d'un morceau, « 11'30 contre les lois racistes », véritable brûlot lancé à la face d'un État qui encourage la peur de l'autre. Vingt-sept ans plus tard, retour sur l'origine d'un titre culte, alors que l'histoire semble tristement se répéter avec le vote de la loi immigration à l’Assemblée nationale.
  • Mars 1997. Trois ans après que les lois Pasqua aient cherché à rationnaliser la politique migratoire de la France, quitte à précariser la situation des immigrés installés sur le territoire, un nouveau vent de contestation souffle sur l'Hexagone au moment où les lois Debré sont examinées par le Sénat. Leur but ? Créer les conditions d'application des lois Pasqua, vivement contestées par les juges, qui la considèrent comme une atteinte aux fondements du droit républicain, et mettre en place des mesures qui font froid dans le dos : expulsion des étrangers résidant irrégulièrement en France depuis plus de quinze ans, sanction pour les Français hébergeant un étranger, renouvèlement de la carte de séjour rendu plus complexe...

    À l'époque, tout se passe comme si le gouvernement Juppé avait fini par céder au harcèlement du FN et de son représentant, Jean-Marie Le Pen, véritablement obsédé par la question de l'immigration. Ce qui, en 1998, sur On est encore là, vaudra à Kool Shen cette formule définitive : « Les lois Debré, tu crois que c'est quoi sinon une pâle copie ? / De celui qu'on ne censure pas/De celui qui parle de race supérieure et qu'on invite à tous les débats ».

    Un an auparavant, d'autres rappeurs s'étaient déjà mobilisés contre ce projet de lois. À l'époque, le rap français est de toute façon extrêmement politisé. Il ne se conçoit pas autrement : il faut prendre position, « sacrifier du poulet », affirmer que « l'état assassine », se dire que l'on « ne pense pas à demain, parce que demain c'est loin ». Au cinéma, Ma 6-T va crack-er prolonge le combat, porté par un réalisateur très engagé (Jean-François Richet) et une flopée de rappeurs venus profiter d'une B.O. qui s'annonce mythique pour clamer que « la sédition est la solution ».

    Également à la tête du label Cercle Rouge, cofondé aux côtés du duo de producteurs White & Spirit, déjà en charge de la partie musicale du long-métrage, Jean-François Richet souhaite alors aller encore plus loin. Dénoncer les lois Debré, okay, mais il faut aussi remettre en cause celles qui l'ont précédé, trouver une association à qui reverser les fonds récoltés (MIB, le mouvement de l'immigration des banlieues) et réunir différents rappeurs pour donner vie à un pur morceau de "rap conscient", selon la formule éculée, aussi maladroite et imprécise soit-elle (conscient de quoi ?).

    L'urgence de la situation oblige Jean-François Richet et White & Spirit à agir vite. Raison pour laquelle 11'30 contre les lois racistes s'appuie en grande partie sur des rappeurs déjà présents sur la B.O. de Ma 6-T va crack-er. Pour le reste du casting, composé d’une vingtaine de fines gâchettes, l'équipe fait conscience aux conseils des uns et des autres : Azé, Radikalkicker et Kabal sont ramenés par Rockin Squat, Soldafadas par Ménélik, etc.

    « Lois Deffere, lois Jox, lois Pasqua ou Debre, une seule logique/La chasse à l'immigré. Et n'oublie pas tous les décrets et circulaires/Nous ne pardonnerons jamais la barbarie de leurs lois inhumaines/Un état raciste ne peut que créer des lois racistes [...] Et au fait, qu'est-ce que t'en penses toi ? »

    Passée cette introduction, menée par Jean-François Richet et Madj (Assassin), ce sont donc Rockin Squat, Akhenaton, Fabe, Passi, Stomy Bugsy, Mystik, Freeman, Yazid (ex-NTM) et Ménélik (pour ne citer que les plus connus) qui défilent au micro avec des textes qui prennent racine sur le même terreau, et les mêmes mots qui reviennent en boucle, comme des images de cauchemars récurrents : « racisme », « fascisme », « xénophobie », « corruption étatique », etc. Pas les plus légers à manier.

    Un an avant que la France ne vire au black-blanc-beur, le rap local s'est donc mobilisé comme rarement (pensons à 16'30 contre la censure, publiée en 1999), convaincu que « le racisme pourrit l'esprit faible » et que la musique, à défaut de faire peur aux institutions, peut tout de même « engrener ».
    À raison, tant 11'30 contre les lois racistes, enregistré à la hâte au Studio Plus XXX à Paris, finit par s'écouler à 60 000 exemplaires (soit 500 000 francs reversés au MIB), et trouve rapidement sa place dans des journaux généralistes, comme L'Express qui y voit « une pétition rap », ou Le Monde, qui annonce le projet en Une de son numéro du 6 mars 1997. Vingt-sept ans plus tard, hélas, il faut croire que Akhenaton se trompait : à en croire le gouvernement Macron, nous ne sommes visiblement pas « tous égaux devant les lois ».

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