Non, le rap n'a jamais rien eu à voir avec les émeutes en banlieue

Souvent pointé du doigt pour des textes qui auraient une mauvaise influence auprès des plus jeunes, le rap est une nouvelle fois stigmatisé par la classe politique et certains journalistes alors que les quartiers brûlent depuis la mort de Nahel. À croire que les rappeurs, pourtant soucieux de donner une voix à cette colère qui gronde depuis plusieurs décennies, ont le parfait profil du bouc émissaire. Histoire d'un gros quiproquo.
  • « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. » Cet article de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, mis en exergue en conclusion de Ma 6-T va crack-er, est aujourd'hui presque aussi connu que n'importe quelle punchline de NTM ou IAM. Dans le film de Jean-François Richet, il vient ponctuer une séquence d'insurrection, où émeutiers et forces de l'ordre s'affrontent après une énième bavure policière, comme pour appuyer un morceau de Mystik & 2 Bal diffusé quelques dizaines de minutes plus tôt : « La sédition est la solution [...] Tu as semé la graine de la haine, donc tu la récoltes. »

    Dans l'imaginaire collectif, ce serait donc ça le rap : un appel à la révolte, une bande de jeunes banlieusards en colère, tout juste bons à attiser la haine. 


    Depuis les années 1990, c'est toujours un peu la même chose. Les quartiers crament ? Les rappeurs ont forcément leur part de responsabilité. Parce qu'ils disent que « l'état assassine », qu'ils transforment un « sacrifice de poulet » en hymne et qu'ils se demandent ce que l'on attend pour foutre le feu. Le pire, c'est qu'ils ont aussi le toupet de ne pas reverser leurs salaires aux associations de quartiers. « Vous m'avez pris pour qui, pour mère Teresa ?», répond ainsi Kool Shen au politicien Eric Raoult (accusé quelques années plus tard de violence conjuguale...), reprochant injustement à la partie sombre du Nique ta mère d'être simplement dans le « commercial ». De faire preuve d'hypocrisie, en quelque sorte, voire même de ne pas chercher à éteindre l'incendie.

    En 2005, lors des émeutes faisant suite à la mort de Zyed et Bouna, ces deux jeunes hommes électrocutés en tentant d'échapper à la police, la plupart des rappeurs ont ainsi refusé de se rendre sur les plateaux télé pour parler de la vie en banlieue ou tenter d'apaiser les esprits. Après tout, ce n'est pas leur rôle. Aux artistes, la liberté d'expression et le regard sur le monde ; aux politiciens, la mise en place d'actes concrets. Et puis, il faut le dire, il y avait sans doute là aussi un ras le bol : celui de n'être invités à la télé que pour parler de sujets qui ne concernent pas la sphère artistique, et uniquement pour répondre à l'accusation de politiciens qui n'hésitent jamais à les tenir comme responsables des différents maux de la société. 

    En 2005, par exemple, 152 députés et 49 sénateurs regroupés autour de François Grosdidier, alors député UMP, considéraient le rap comme l'un des « facteurs qui ont conduit aux violences dans les banlieues », extirpant de leur contexte les lyrics de Monsieur R, Sniper, Salif ou 113.

    Aujourd'hui, alors que le rap est plus que jamais mainstream, et que les villes brûlent de nouveau suite à une énième bavure policière, filmée et visible de tous, le schéma se répète. La différence, c'est que les rappeurs sont désormais si puissants sur les réseaux sociaux qu'ils y trouvent là un autre moyen de faire entendre leur parole (et leur soutien à la famille de Nahel !), sans prendre le risque de faire face à un système tentant de trouver chez les artistes une possible réponse à la situation actuelle.

    Non, les rappeurs n'ont pas à trouver les solutions à la place des politiciens ; ils sont simplement, pour certains, des hauts-parleurs que la liberté d'expression autorise à dénoncer, quitte à souhaiter aller à « l'Elysée brûler les vieux ». Non, ils ne sont pas responsables des poubelles enflammées ou des vitrines cassées ; quelque part, cela fait même plusieurs décennies qu'ils cherchent à alerter sur la situation. C'était déjà le cas en 1993, lorsque NTM posait ce constat : « J'accuserai les lois et l’État /De quoi ? / De toujours nous faire payer les dégâts ». Ça l'est toujours aujourd'hui, à l'image de cette phrase de Ninho, écrite en 2018 sur un titre avec SCH (Prêt à partir) et relayée en masse sur les réseaux ces derniers jours : « Ils veulent pas que ça brûle comme en 2005, pourtant ils refont les mêmes erreurs ».

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